mardi 22 avril 2008

Didier Super au Point Virgule


Le dernier spectacle de Didier Super au Point Virgule est-il comique ? Au vu des réactions du public, il est dans un premier temps possible de répondre affirmativement. Ce public paraissait d'ailleurs conquis d'avance samedi dernier, connaissant certaines chansons par coeur et donc assez familier du travail de l'artiste. Ce dernier se présente sur scène en sous pull trop petit qui laisse voir un magnifique ventre typique du consommateur de bière. On le verra d'ailleurs chanter en actionnant son ventre qu'il sait rendre très expressif en lui ajoutant une paire de lunettes.

Cependant, à y regarder de plus près, il y a, derrière une apparence délirante et outrancière fort sympathique une dimension bien plus sombre et assurément moins comique. Ce spectacle s'inscrit à mon avis dans une double perspective sadique et sadienne. Cette idée peut paraître étrange s'agissant d'un spectacle qui se présente comme comique, je m'explique donc.

Une perspective sadique tout d'abord: il peut arriver à un comique de faire monter un membre du public sur scène. On rit généralement de voir la gêne de la personne choisie lorsqu'elle se présente alors devant le public. Le comique a alors une attitude rassurante et n'exploite souvent la présence de la personne que de manière très respectueuse. Parfois, si les remarques sont moins « gentilles », elles s'adressent à une personne du public non visible par tous et concernant par exemple un rire trop fort, le déclenchement inopiné d'un portable, une réaction trop soulignée.

Didier Super, pour sa part, choisit une jeune fille dans le public pour lui demander de participer à un duo et lui donne pour cela une feuille illisible qui l'empêche donc de faire quoi que ce soit. L'artiste peut alors rappeler que c'est lui la vedette, le créateur et que personne ne peut prendre sa place. On peut y voir une petite allusion aux différents télé crochets télévisés de nos jours. A un autre moment, il présente un préservatif rempli d'une substance blanchâtre qu'il fait exploser sur le public.

Mais alors que la relation sadique s'établit à deux, par exemple dans un cadre consenti où le sadique et le masochiste trouveront leur compte à travers des attitudes prédéfinies,le sadisme de Didier Super s'établit sur un public totalement captif qui, même s'il a une idée du travail de l'artiste, ne sait pas à quoi s'attendre dans le cadre d'une nouvelle création qui va bien plus loin que ce qu'on connaît par les CD précédents. Les attaques sont tellement nombreuses qu'on pousse parfois un soupir, ou même qu'on rit franchement, quand on est épargné par l'artiste. Le malaise peut alors venir du fait que l'autre peut être attaqué sans problème parce que cela permet d'être épargné soi même, ce qui repose bien entendu une question morale qui a traversé l'histoire de l'humanité..

La perspective sadienne est tout aussi intéressante. Elle tient à une volonté claire d'épuisement du discours par la répétition de tous les clichés violents antisémites, antimusulmans, anticatholiques, misogynes, homophobes, un discours évoquant les pédophiles ou les violeurs. Il ne s'agit pas ici de lutter simplement contre le discours ou la pensée politiquement corrects et de faire grincer quelques dents. Il ne s'agit pas non plus uniquement d'interroger les limites du comique. Il y a chez cet artiste comme une fascination de l'activité de rejet de l'autre, du différent, sans proposer aucune vision modélisante en contrepartie,si ce n'est celle d'une individualité limitée à quelques vagues pulsions sexuelles. On se trouve alors dans une forme de nihilisme, où l'artiste ne dénonce pas tant les travers de certains membres de notre société que la violence qui la traverse. A cet égard, on est assez proche d'un discours d'un Marylin Manson qui affirme n'être que le porte parole de la violence du monde qui l'entoure.

Mieux encore il s'agit pour l'artiste de produire également des effets de réel en établissant des rapport violents, insultants avec ses techniciens dont un finira d'ailleurs par venir sur scène à la fin du spectacle pour commencer à la débarrasser. Pour couronner le tout, le spectacle s'achèvera en plein milieu de la rue. Pour cette raison, il m'a semblé maladroit de sa part de nous rappeler qu'il existait le personnage de Didier Super (avec les lunettes) et la personne véritable (sans les lunettes) et qu'il s'agissait de deux personnes bien différentes. Ce rappel tue quelque peu l'effet de réel créé. Le reproche et le même lorsque l'artiste profite d'un rappel pour nous montrer comment il prépare la fameuse capote remplie de faux sperme qu'il avait balancé sur le public auparavant.

Au delà donc de l'aspect comique on a je crois affaire à un spectacle qui est une vraie performance artistique qui nous bouscule et interroge le monde.

« Si personne n'est parti de mon spectacle, alors le spectacle est raté » affirme Didier Super. Je suis bien heureux d'y être resté, bien conscient de la qualité de ce que j'y voyais.

mardi 8 avril 2008

Les Disparus de Daniel Mendelsohn



9782081205512.jpgCe livre retrace l'enquête de l'auteur qui va partir à la recherche de ses ancêtres juifs, tués en Pologne en 1941, et dont il ne connait presque rien. Il va ainsi parcourir le monde et recueillir des témoignages bouleversants mais il va également nous faire part de ses doutes, ses incertitudes sur la manière de mener cette quête. Son approche est toujours pleine de sensibilité et montre la difficulté de son entreprise à différents niveaux. Ainsi, la réalité de l'histoire peut-elle parfois se dévoiler de manière tout à fait inattendue comme dans ce passage, lors de la visite d'un cimetière juif en Autriche : « A côté de ces tombes (presque aucune d’entre elles, avons-nous remarqué en y circulant, ne porte de dates postérieures au début des années 1930), se déployait une vaste prairie vide. Nous l’avons regardée fixement pendant un moment, avant de comprendre que la Nouvelle Section juive était en grande partie vide parce que tous les Juifs qui auraient dû être enterrés là, selon le cours normal des choses, étaient morts dans des circonstances qu’ils n’avaient pas prévues et s’ils avaient été enterrés, l’avaient été dans d’autres tombes moins élégantes qu’ils n’avaient pas choisies. Quand nous pensons aux terribles ravages produits par un certain type de destruction pendant les temps de guerre, nous pensons normalement au vide des endroits qui étaient autrefois pleins de vie : les maisons, les boutiques, les cafés, les parcs, les musées, etc. J’avais passé pas mal de temps dans les cimetières, mais il ne m’était pourtant jamais venu à l’esprit, avant cet après-midi dans la Zentralfreidhof, que les cimetières, eux aussi, pouvaient être vidés de leur vie. »

author_photo_face_close.jpgL'auteur montre également à quel point la photographie joue un rôle dans la compréhension que l'on peut avoir de cette guerre : « comprendre combien j’avais été désinvolte, irréfléchi même, traversant le monde entier pour parler avec ces survivants, qui avaient survécu avec rien d’autre, littéralement, qu’eux-mêmes et exhibant la riche collection de photos que ma famille avait conservées depuis des années, toutes ces photos que j’avais contemplées et qui, plus tard, m’avaient fait rêver pendant que je grandissais, les images de ces visages qui n’avaient pas véritablement de valeur émotionnelle pour moi, mais le pouvoir, soudain, de rappeler aux gens à qui je les montrais à présent la vie et le monde auxquels ils avaient été arrachés, il y a si longtemps. Comme j’étais idiot et insensible. »
Mais si les photos peuvent raviver douloureusement la mémoire des survivants, elles peuvent paradoxalement faire « disparaître » presque définitivement certaines victimes :
« Quand j’ai montré ces images mystérieuses à Bruria, dont l’anglais était aussi limité que mon hébreu pour la conversation, elle a secoué la tête tristement et haussé légèrement les épaules. Tous ceux-là, me suis-je dit, en regardant ces visages muets, tous ceux-là sont absolument perdus, impossibles à connaître ».

Le propos est ainsi toujours nuancé,et nous assistons à toutes les difficultés de l'auteur qui cherche à comprendre la petite et la grande Histoire. A cet égard, l'ouvrage s’ouvre sur une dédicace suivie d’une citation latine que l’auteur va expliquer : Sunt lacrimae rerum « C’est la phrase qui m’est venue à l’esprit quand Meg a dit, C’étaient ses parents, et qui continuerait à me venir à l’esprit chaque fois que je serais confronté à l’horrible décalage entre ce que certaines images et histoires signifiaient pour moi qui n’y étais pas et, par conséquent, ne seraient jamais qu’intéressantes, édifiantes ou terriblement « émouvantes » (comme on dit d’un livre ou d’un film qu’il est « émouvant »), et ce qu’elles signifiaient pour ces gens à qui je parlais, pour qui ces images étaient leur vie. Dans mon esprit, cette phrase en latin est devenue une sorte de légende expliquant ces distances infranchissables créées par le temps. Ils y avaient été et nous, non. Il y a des larmes dans les choses. Mais nous pleurons tous pour différentes raisons. »
Cet « horrible décalage » tient au fait même que certains protagonistes refusent que toutes leurs expériences soient divulguées, même si elles envisagent de témoigner un jour. L'auteur en donne l'explication :
«Elle et moi, même au moment où elle l’a dit, savions parfaitement qu’elle n’écrirait jamais un livre elle-même, mais en dépit de ma frustration de ne pouvoir inclure certaines choses qu’elle m’a dite ce jour-là, des histoires et des anecdotes qui pourraient éclairer ce qu’a pu être le fait de traverser la guerre à Bolechow, je comprends parfaitement ce dont elle avait peur, pourquoi elle redoutait de voir ses histoires figurer dans mon livre. Elle savait que dès l’instant qu’elle m’autoriserait à raconter ses histoires, elle deviendraient les miennes ».
Plus loin, c'est la démarche de l'historien de la guerre la grande difficulté du projet qui sont explicitées :« et puis, poursuivant la pensée non dite qui m’avait traversé l’esprit, j’ai dit, avec un demi-sourire, C’est différent d’écrire l’histoire des gens qui ont survécu parce qu’il y a quelqu’un à interviewer, et ils peuvent vous raconter ces histoires étonnantes. En prononçant ces mots, j’ai pensé à Mme Begley qui m’avait dit un jour, en me regardant froidement, si vous n’aviez pas une histoire étonnante, vous n’auriez pas survécu. Mon problème, ai-je poursuivi pour Shlomo, c’est que je veux écrire l’histoire de gens qui n’ont pas survécu. Des gens qui n’avaient plus d’histoire ».
Enfin, au delà de la démarche de l'historien, c'est progressivement une réflexion sur l'humanité en général qui nous est livrée :
« Etre en vie, c’est avoir une histoire à raconter. Etre en vie, c’est précisément être le héros, le centre de l’histoire de toute une vie. Lorsque vous n’êtes rien de plus qu’un personnage mineur dans l’histoire d’un autre, cela signifie que vous êtes véritablement mort ».

Parades de Bernard Souviraa


9782879296012.gifAutant le dire tout de suite : c'est le meilleur roman gay de l'année (c'est d'autant plus facile à dire que nous sommes en mars). On dit généralement qu'on a « dévoré » un livre qui nous a plu. Pour celui-là, j'ai dû prendre mon temps, interrompre la lecture, laisser poser un peu le livre, juste pour le regarder de loin et tenter de le rendre un peu inoffensif tant j'ai été pris, embarqué dans une histoire dans laquelle j'ai cru parfois me retrouver. Il arrive qu'on s'identifie à un personnage... moi c'est de tous les personnages que je me suis senti proche, ou plutôt de l'état d'esprit, de l'ambiance du livre. J'avais 18 ans à nouveau, j'étais revenu au lycée, à mes premières années d'étudiant, à mon CAPES de Lettres. Ce livre est pour moi la preuve que le voyage spatio-temporel est possible.
Je suis dans l'incapacité totale d'en faire un résumé personnel tant j'aurais l'impression de trahir tout ce que j'en ai senti. Voici donc ce qu'en dit la quatrième de couverture :
« Cétaient les années 80, l'époque où Gabriel et Sébastien se déclaraient frères et se rêvaient comédiens. L'époque de leur montée à Paris et de leurs débuts au théâtre avec, pour initiatrices, l'universitaire bordelaise Lorette Mondine et Nora Reps, la vieille diva tchekhovienne. Gabriel allait connaître le succès au cinéma mais, étrangement, il disparut aussitôt après avoir remporté le prix d'interprétation à Venise pour son premier film. Vingt ans plus tard, Sébastien, qui n'a jamais réussi à oublier Gabriel ni à comprendre sa fuite, cède au désir impérieux de le retrouver. Il part à Porto. On aurait vu récemment Gabriel dans un café de la ville, le Guarany ».
Sébastien, au début du récit se confesse de cette manière :
« Je lui dirais que Gabriel a été comme un frère pour moi, Gabriel Dessant, il me manque pareil, il me manque comme un frère, j'ai eu très vite une autre vie que la vie que j'avais quand nous nous fréquentions mais comprenez-moi bien, nous étions comme des frères, nous n'étions pas amants, non, je n'étais pas amoureux de lui, non, au début j'ai tenu son souvenir à distance, j'ai été anesthésié. Voilà, j'ai pratiqué sur moi une sorte d'anesthésie fort réussie. J'accomplissais sans défaillance les geste du quotidien. Tous les gestes du quotidien sont devenus des passions, de la lecture du journal aux heures passées à la laverie à regarder le hublot fou des machines, j'adorais l'essorage. Quand il a tout quitté et qu'il a disparu, je ne le voyais déjà plus, vous savez. Nous avions eu un... différend... voilà, un différend. L'orgueil. »
Il y a un peu plus loin la plus belle description d'un baiser que j'ai jamais lue, une description étrange et surréaliste qui m'a fait penser à du Salvador Dali, je ne sais pas pourquoi :
« Mais avant même que j'aie eu le temps de lui répondre, avant même que j'aie pu croiser son regard, sa langue est dans ma bouche. Nos langues glissent l'une contre l'autre comme des animaux marins à la fois élastiques et spongieux. Des animaux hardis ayant voyagé longtemps dans les fonds sous-marins gorgés de mâchoires carnivores, de gueules en forme d'épée, de plantes luminescentes dont l'électricité foudroie. des animaux qui ont acquis une souplesse rusée,sont maintenant supérieurement doués pour la vitesse d'exécution, des animaux pleins d'expérience et de secrets accumulés qui tout à coup se révèlent. Par leur texture d'amibes, nos langues échangent ce savoir muet ».
Il y a l'atmosphère des années 80.
Le Sida : « En vérité, moi j'y pense très peu. Et Gabriel ? sans doute plus que moi, je présume, quand il revient de ses virées sur les quais. Alors qu'il a quelque chose de la bête des bois, une bête aux trop grands yeux noirs, et je trouve pour ma part effrayant les yeux des biches ».
Intermède au sujet des « yeux des biches » destiné à ceux qui n'auraient pas lu les critiques des ouvrages gays précédents. Une rapide rétrospective s'impose. J''avais en effet signalé dans Mérovée de Nicolas Jones-Gorlin la phrase suivante : « Ses cheveux étaient trempés de sueur. Et ses yeux ressemblaient à ceux des biches »(p.7). Puis, dans Un homme accidentel de Philippe Besson : « les adolescents mal grandis, les habitués des salles de musculation, les folles flamboyantes, les travelos encombrants, les blacks gigantesques, les chicanos aux yeux de biche »(p. 83). Et voilà Bernard Souviraa qui s'y met aussi... décidément, la chasse est ouverte. Oui mais voilà, contrairement aux deux premiers auteurs pour qui cet oeil de biche n'a qu'une simple dimension vaguement esthétique ou érotique qui s'enferme dans un indigent cliché, il y a, chez Bernard Souviraa, une véritable symbolique qui est en jeu et dont témoignent de nombreux passages du livre. Il y a là un lien étroit avec la notion d'identité, la notion de déni. Une notion qui imprègne l'histoire de Sébastien qui, à d'autres moments, affrontera des regards sous des formes variées. A ce sujet, et puisque je parlais plus haut de surréalisme, il me semble tout indiqué de rappeler ici un extrait du Chien andalou de Luis Bunuel : une femme s'y fait trancher un oeil d'un coup de lame de rasoir.
Il y a tout dans Parades : les parades amoureuses et les parades de combat.Avec ou contre l'autre. Ou contre soi. Tout contre, bien sûr.

Fun Home d'Alison Bechdel

44333387.jpgVoici un ouvrage, sorti en 2006, que l’on m’a prêté (merci Nicolas !). Il s’agit de l’autobiographie graphique de son auteur, Alison Bechdel. Elle y évoque son enfance aux côtés d’un père qui, tout en étant professeur d’anglais en Pennsylavnie, dirige également un « Fun home », c’est-à-dire un salon funéraire. C’est sur cette figure paternelle que s’ouvre et se clôt l’ouvrage, un père dont l’auteur découvrira progressivement l’homosexualité parallèlement à la sienne et dont la mort va prendre un curieux écho très personnel : « La mort de mon père fut une affaire étrange – queer, dans tous les sens du terme. Etrange assurément dans sa déviation du cours normal des choses. Elle était suspecte, peut-être même contrefaite. Elle mit ma famille en fâcheuse posture, elle nous contraria et nous détruisit chacun d’une manière différente. Elle me laissa nauséeuse, défaillante et occasionnellement ivre. Mais par-dessus tout à l’époque, sa mort fut liée pour moi à l’unique sens de queer qui ne figurait pas dans notre énorme Webster ».


588611573.jpg L’intérêt de ce livre, au-delà de son graphisme en noir blanc gris, dépouillé, précis, réside à mes yeux dans la place qu’il laisse à l’écrit, le fait qu’il lie la littérature (Joyce, Proust, Nin…), la chose écrite, à la découverte de la personnalité de l’auteur: elle se découvre dans les romans, dans les définitions de dictionnaire ; elle se découvre dans son journal, dans un une lettre qu’elle adresse à ses parents et dans laquelle elle déclare son homosexualité. C’est cette lettre qui va déclencher l’aveu de sa mère, au cours d’une conversation téléphonique, le « coup de massue » : « Ton père a eu des liaisons avec des hommes ». « Evincée de mon propre drame, je basculai dans l’intermède comique de la tragédie de mes parents ». Plus loin : « Et comme la mort de mon père talonna de près ce coming-out sinistre, je ne pus m’empêcher d’y voir une relation de cause à effet ».

Au-delà de cet événement dramatique, c’est bien de la multitude de mini-drames et de non-dits qui construisent une vie qu’il est question, de toutes ces petites choses qui peuvent pousser dans les cas les plus terribles vers la dépression, ou les TOC, par exemple. L’auteur les aborde ici, mais toujours avec une certaine distance – le père décore la maison comme s’il s’agissait d’un décor de théâtre, la mère se fait actrice - voire un certain humour (le titre « Fun Home » témoigne de cette ambiguité ainsi que son sous-titre : « Une tragicomédie familiale »).


2025601085.jpgJ’éprouve quelques difficultés à montrer toute la richesse de ce livre qui évoque l’aventure familiale dans ses aspects historiques mais aussi géographiques, sans aucun pathos et avec une grande pudeur, un livre qui mélange le fun des funérailles dont on garde toujours une trace même abrégée, et le fun de la découverte du plaisir.


La part obscure de nous-mêmes d'Elisabeth Roudinesco


bbd896018ee7c0b271e3bc2bca326ac6.gifUne histoire des pervers.
Voilà un ouvrage court, pédagogique, accessible, documenté : une vraie réussite. Il s’agit pour l’auteur d’explorer le concept de perversion et d’en définir les différentes dimensions, historiques, littéraires, psychologiques. « Où commence la perversion et qui sont les pervers ? Telle est la question à laquelle tente de répondre ce livre qui réunit des approches jusque-là séparées, en mêlant à une analyse de la notion de perversion non seulement des portraits de pervers et un exposé des grandes perversions sexuelles, mais aussi une critique des théories et des pratiques qui ont été élaborées, notamment depuis le XIXe siècle, pour penser la perversion et désigner les pervers ».


015b009c39898fdd1e01ec3bb818dd56.jpgAu-delà de nos préjugés étriqués sur la perversion dont nous ne voyons que l’aspect négatif, l’auteur précise qu’elle est aussi « créativité, dépassement de soi, grandeur. En ce sens, elle peut être entendue comme l’accès à la plus haute des libertés puisqu’elle autorise celui qui l’incarne à être simultanément un bourreau et une victime, un maître et un esclave, un barbare et un civilisé. La fascination qu’exerce sur nous la perversion tient précisément en ceci qu’elle peut être tantôt sublime et tantôt abjecte ». C’est donc toute l’ambiguïté de la perversion qui sera abordée ici à travers une analyse historique qui nous mènera des expériences mystiques à nos jours en passant par Sade, le siècle des Lumières, Flaubert, Oscar Wilde, le nazisme…

Première étape, donc, les expériences mystiques : « Si, de nos jours, le terme d’abjection renvoie au pire de la pornographie à travers des pratiques sexuelles liées à la fétichisation de l’urine, des matières fécales, du vomi ou es fluides corporels, ou encore à une corruption de tous les interdits, il n’est pas séparable, dans la tradition judéo-chrétienne, de son autre facette : l’aspiration à la sainteté. Entre l’ancrage dans la souillure et l’élévation vers ce que les alchimistes appelaient autrefois le « volatile », en bref entre les substances inférieures- du bas-ventre et du fumier – et les substances inférieures – exaltation, gloire, dépassement de soi -, il existe donc une étrange proximité, faite de déni, de clivage, de répulsion, d’attirance » Elisabeth Roudinesco en donne un exemple : « Catherine de Sienne [1647-1690] déclara un jour n’avoir rien mangé de si délectable que le pus des seins d’une cancéreuse. Et elle entendit alors le Christ lui parler : « Ma bien-aimée, tu as soutenu pour moi de grands combats et, avec mon aide, tu es restée victorieuse. Jamais tu ne m’as été plus chère et plus agréable […] Non seulement tu as méprisé les plaisirs sensuels, mais tu as vaincu la nature en buvant avec joie, par amour pour moi, un horrible breuvage. Eh bien, puisque tu as fait une action au-dessus de la nature, je veux te donner une liqueur au-dessus de la nature. »

b697dae394508e3facdab5200d79f4ae.jpgLe chapitre suivant aborde les écrits sadiens et un passage en particulier m’a intéressé : « l’acte sexuel pervers, dans sa formulation la plus hautement civilisée et la plus sombrement rebelle – celle d’un Sade non encore défini comme sadique par le discours psychiatrique -, est d’abord un récit, une oraison funèbre, une éducation macabre, en bref, un art de l’énonciation aussi ordonné qu’une grammaire et aussi dépourvu d’affect qu’un cours de rhétorique ». J’aime beaucoup l’idée d’un acte sexuel pervers qui est d’abord un récit, comme si le plaisir même de cet acte se tenait dans le discours, comme si l’on pouvait faire des mots comme on fait l’amour. Mais l’auteur reprend la phrase de Roland Barthes : « Ecrite, la merde ne sent pas. Sade peut en inonder ses partenaires, nous n’en recevons aucun effluve, seul le signe abstrait d’un désagrément ».


A travers de très nombreux exemples et des analyses d’une grande finesse du monde contemporain (que je laisse au futur lecteur le soin de découvrir), l’auteur montre parfaitement que considérer la perversion ou la déviance comme une simple maladie que la science suffirait à expliquer et à corriger pourrait mener aux pires horreurs en tentant d’éradiquer ce que l’homme a de pire en lui, mais ce qu’il a aussi de meilleur dans ses transgressions et ses inventions. « Que ferions-nous si nous ne pouvions plus désigner comme des boucs émissaires – c’est-à-dire des pervers – ceux qui acceptent de traduire par leurs actes étranges les tendances inavouables qui nous habitent et que nous refoulons ? » Pour voir une étude plus complète de cet ouvrage, l'aricle du site nonfiction.fr est parfait


En forme de conclusion personnelle, la bande-annonce (pas très réussie je dois bien le dire) de Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol, un de mes films favoris.


Un Homme accidentel de Philippe Besson

c3188d255c87197be6ceb7e2edaf8d9d.jpgLes histoires d’amour finissent mal, en général… et surtout chez les gays, on dirait. Je viens d’en avoir la confirmation avec les lectures successives de Mérovée de Nicolas Jones-Gorlin, Des Amants, de Daniel Arsand et Un Homme accidentel de Philippe Besson.

Résumé de ce dernier ouvrage : un jeune flic tranquille de Beverly Hills (c’est le narrateur), dont la femme attend un enfant, va mener une enquête sur un meurtre et rencontrer un jeune acteur célèbre, Jack Bell qui sera l’unique suspect. Histoire d’amour, passion, conflit, blabla…
[Petite digression : parmi les rôles interprétés par ce Jack Bell, il y a celui d’un « personnage vénéneux et pervers d’ado faisant tourner la tête d’une vieille actrice pathétique, un objet d’adoration dans une histoire crépusculaire. Presque pas de dialogue mais une présence écrasante » (p. 55). c9868db4362aa041df6b5c363a23e4f7.jpgJ’ai immédiatement pensé au rôle joué par Joe Dallesandro dans le film Heat de Paul Morrissey qui raconte une histoire identique. (je pense que le personnage de Jack Bell en est directement inspiré). Tout au long de ma lecture, je n’ai pas été fichu de me sortir la plastique formidable de cet acteur. Fin de la digression.]
Tout d’abord un conseil : ne lisez pas ces trois livres d’affilée sous peine de vous retrouver seul à pleurer dans votre cuisine en écoutant du Arvo Pärt à fond et en dévorant un paquet de fraises Tagada jusqu’à l’écœurement.
Partant du stupide principe que les gens heureux n’ont pas d’histoire et pour pallier un manque certain d’imagination, ces auteurs tartinent de la confiture d’amour douloureux sur fond d’inégalité sociale. Chez Philippe Besson, dans le carambolage confus des sentiments, l’homme ne peut être qu’accidentel (pourquoi pas) mais l’amour est toujours assis à la place du mort (plus discutable). Je ne vais pas trop m’étendre sur ce livre qui a rencontré un certain succès.
Ce qui m’intrigue surtout dans L’Homme accidentel et dans Mérovée c’est la place donnée au personnage du flic (narrateur dans les deux romans). Cela m’a beaucoup fait penser à un téléfilm réalisé par Jérôme Anger et diffusé sur France 3 le 10 novembre dernier : Autopsy. Dans cette histoire, le personnage incarné par Stéphane Freiss, un flic de 45 ans, marié, tombe amoureux d’un médecin légiste qu’il croit impliqué dans un meurtre. 82c1410f39857fe17ecc8a020f5e05ae.jpgRebelote : amour, passion, conflit , blabla…Mais qu’ont-ils donc à devenir tous gays, ces flics ? Pourquoi eux ? Le flic incarne l’hétérosexualité, la virilité assumée, le respect de la loi, l’ordre et le pouvoir. Si je comprends bien, le présenter comme homosexuel, amoureux au point de piétiner la déontologie, permet de lui faire transgresser toutes les règles d’un coup. C’est pratique, accessible à un large public, choquant juste ce qu’il faut pour la ménagère de moins de cinquante ans et ça délivre un message de tolérance molle puisque le gay meurt ou est puni quand même. Cependant, je ne vois pas en quoi transférer une trame archi-revue dans le cadre hétérosexuel chez des gays pourrait la renouveler. Certains penseront peut-être que c’est une bonne manière d’évacuer le cliché du PD-folasse. Si c’est pour le remplacer par un autre cliché aussi peu inventif, aussi étriqué, je me pose des questions. Je m’en pose également sur le style de ces auteurs (à l’exception de celui de Daniel Arsand, superbe) : chez Nicolas Jones-Gorlin : « Ses cheveux étaient trempés de sueur. Et ses yeux ressemblaient à ceux des biches » (p.7). Chez Philippe Besson : « les adolescents mal grandis, les habitués des salles de musculation, les folles flamboyantes, les travelos encombrants, les blacks gigantesques, les chicanos aux yeux de biche » (p. 83). Conclusion : le minet, dès qu’il vient du Sud, a des yeux de biche. Quant aux scènes de sexe (p. 125 chez Besson), elles sont misérables, surtout si on les compare, par exemple, aux scènes hot de Glamorama de Bret Easton Ellis (une référence, rien que d’y penser…).
Ecrire, me semble-t-il, permet tout de même d’accéder à des mondes beaucoup plus riches.
Dernière chose qui n’a rien à voir : p. 107 chez Besson :
« Cet après-midi-là, je ne suis pas rentré directement au bureau, choisissant de marcher dans cette ville où personne ne marche, parce que la voiture y est reine. Il flottait dans l’air un parfum de bougainvillées. Je ne m’y connais pas particulièrement en fleurs mais je sais reconnaître le parfum des bougainvillées, ma mère me l’a appris, je n’ai pas oublié ».

bf0a344c953dad2fe90fbcd4f619d178.jpgIl m’est arrivé, au hasard de mes expériences horticoles et de mes nombreuses aventures botaniques de fréquenter quelques bougainvillées. J’avais pour mission de les tailler et nos rapports furent houleux. Ils sont en effet équipés de longues épines en hameçons qui, une fois dans la peau, vous retiennent douloureusement et vous laissent tout le loisir de les admirer et de les respirer longuement avant de parvenir à vous en défaire. Je suis donc en mesure de le garantir : ces fleurs n’ont aucun parfum (ou alors d’une très grande discrétion). Quelle variété de bougainvillées Philippe Besson a-t-il pu bien sentir ? Quand cet auteur manque d’invention, il réussit à inventer mal. La littérature peut beaucoup mais elle ne peut certainement pas donner de parfum à des fleurs qui n’en ont pas et de l’intérêt à des histoires qui ne sentent que le réchauffé.

d76428bcecc49cf7d220cd0165aede6d.jpgMes livres préférés sont ceux dont je suis persuadé qu’on ne pourra jamais les adapter au cinéma. Le livre de Philippe Besson ferait un téléfilm moyen.

Des Amants de Daniel Arsand


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Voici le premier chapitre de cet ouvrage :
Dieu ! quelle banalité en ce temps d’avant le chaos et les libertés proclamées que d’avoir un père laboureur et une mère touilleuse de revigorantes mixtures. On est en 1749.
Tandis qu’Alain Faure arpente les champs, halète, sue, les doigts crispés sur le mancheron, et vieillit en accéléré, tandis qu’Elise, son épouse, nourrit la volaille ou cueille la mélisse ou l’armoise, leur fils, Sébastien, mène sur la lande son petit troupeau de chèvres et de brebis.
Sébastien a quinze ans. Maigriot et le cheveu comme du foin gelé. De caractère apparemment placide. C’est un rêveur, un contemplatif. Espèce rare chez le paysan. Qui a le regard dans le vague et l’esprit trop souvent au pays des songes est châtié. On l’oblige aux besognes les plus dures. On l’accable d’insultes. Certains soirs de beuverie de bonnes âmes badigeonnent d’excréments un gars de cette espèce, afin qu’il sache que la réalité a une sale odeur et que la supporter est une nécessité. Il sera, si le Diable ne le protège pas, un de ces persécutés que l’on retrouve parfois se balançant au bout d’une corde et couronné de choucas. Sébastien Faure a échappé jusqu’à aujourd’hui au supplice de la merde et aux quolibets venimeux. Sans doute parce que sa mère en terrifie plus d’un. Ses incantations et ses breuvages ont déjà rendu plus d’un gaillard mou comme une chique.
Il admire Elise, il la respecte, quant à l’aimer, il ne sait pas, peut-être ne l’aime-t-il pas assez pour que ce soit vraiment de l’amour. Sans doute est-il de ces hommes qui naissent le cœur sec. Entre vivant, n’est-ce pas, ne garantit pas d’avoir un cœur.
Le cadre est clairement posé : nous sommes au milieu du XVIIIème et nous pressentons clairement que le jeune Sébastien va faire partie de « ces persécutés » dont il est immédiatement question. Rapidement, ce pressentiment sera confirmé : il va rencontrer Balthazar de Créon, un jeune noble, et leur amour sera passionné et terrible. J’aime particulièrement ce premier chapitre pour son économie, et surtout pour son style et ses images. J’aime « le cheveu comme du foin gelé », j’aime également cette image du pendu « couronné de choucas », nos bruyants charognards campagnards, et ces parfums de merde, de mort et de plantes sauvages auxquelles la superstition prête des vertus mystérieuses. Ce chapitre est à l’image des 99 chapitres suivants, tout aussi courts, olfactifs et visuels. Ils sont à l’image des miniatures que peignait le père de Balthazar, un art que va également explorer Sébastien. De précieux condensés où les paysages se font parfois états d’âmes et prémonitions :
« Ils viennent de faire l’amour, et voilà que Sébastien avoue à Balthazar qu’il a commis un sacrilège. Il extrait de la cassette une miniature qu’avait exécutée Louis de Créon. Il a estampillé de noir un coin de l’œuvre, un noir de suie. La nuit surgit en plein jour. Salit des ramures ».
D’autres personnages s’inscrivent, telle la Princesse de Créon dans d’odorantes miniatures :
« Elle prend ses repas au rez-de-chaussée, dans une sorte de boudoir, à une table richement parée, dressée près d’une porte-fenêtre donnant sur un jardin mouchoir de poche, verdi de buis et jauni à un de ses angles par un buisson de roses ».
L’image pourrait paraître belle, mais le « verdi de buis et jauni à un de ses angles » distille une mélancolie d’aquarelle moisie tandis que les roses ne semblent plus qu’épines.
Mais c’est bien le buis, plante aussi persistante que sa désagréable odeur, qui domine le paysage comme en témoigne encore la Princesse de Créon :
« C’est un théâtre de buis et de roses que je contemple de ma fenêtre mais un théâtre où n’évolue aucun acteur ».
Cette persistance odorante et presque maléfique est confirmée par les sensations de Sébastien :
« Il s’émerveille de la splendeur de ce parterre, dont il est le sorcier. Des tulipes, et puis des roses. Les buis sont bien taillés. Ils embaument. Après la taille, son corps sent l’amer. C’est un parfum. C’est le sien, et pour longtemps ». Comme si domestiquer la nature, la tailler, la modifier, ne pouvait laisser qu’une grande amertume. Je ne peux m’empêcher de penser à la symbolique du buis qui allie les forces de vie et de mort, ce buis béni au jour des Rameaux qui célèbre à la fois la mort du Christ martyr et sa vie éternelle.
Si la nature est souvent là, elle l’est dans toute son ambiguité. Alors, si elle peut parfois se montrer apaisante, elle sait, comme les potions médicinales qu’elle inspire, être sournoise, menaçante et dévorante.
«Le petit troupeau musarde. Il broute une herbe rase entre des épineux. La ronce colonise. Elle semble sans cesse prête à se multiplier, à vouloir prendre dans ses nasses sarmenteuses le berger et ses bêtes, et pourquoi pas l’univers ? »
Plus loin :
« En toute saison une armée de jardiniers déploie une colossale énergie pour que plates-bandes, statues et bassins ne soient pas la proie de hautes herbes et de ronces. De cette végétation conquérante, la princesse de Créon écrit à sa cousine Angélique de Fombeuse : Elle nous guette, elle nous menace, elle recouvrira bientôt le marbre ». Le marbre dans lequel sont gravés ses préjugés et ses certitudes.
Voilà donc un livre-paysage, un livre-odeur dans lequel gronde un silencieux tonnerre et flotte un parfum de ruine. Magnifique.


fb62a380dd3d2a1bedc0ee3a25f9f4b5.jpgMathias Malzieu fait fort : un album (magnifique, varié, grouillant d’invités : Emily Loizeau, Arthur H, Grand corps malade, Eric Cantona, Bashung), un livre qui complète le CD et peut-être bientôt un film. Dionysos à tous les étages, je ne vais pas m’en plaindre. Voici donc La Mécanique du cœur. L’histoire : dans l’Edimbourg de la fin du XIXème siècle nait Jack. Son cœur est malheureusement en très mauvais été et la sage-femme le remplace par une horloge. On pressent alors que ses amours ne vont pas être simples et que ce jeune homme va mesurer le temps de son désir et de ses douleurs au cours d’un voyage initiatique qui le mènera d’Edimbourg à Grenade.



1be7e5a6775ba0f47bc3bc431827d0d9.jpgDans un précédent album, Haïku (en 1999), il était déjà question de cœur.

Le cœur est un 45 tours rayé
Où seulement les deux pieds du batteur
Ont pu être enregistrés
A force de s’amuser à faire du rap avec
Le faire accélérer puis ralentir pour rien
Il siffle comme un vieux train
Enrhumé jusqu’au ventre
L’idée générale de faire coïncider un CD et un livre (bien écrit, poétique, surréaliste, très visuel) transforme le tout en un vrai conte musical pour adulte presque hypnotique. En voici un exemple avec un extrait de l’ouvrage (p. 37) et la chanson correspondante avec la participation de Babet et de Rossy de Palma.
Anna et Luna sont deux prostituées qui se pointent toujours en période de Noël en baissant les yeux sur leur ventre arrondi. A la manière dont elles me répondent « non, non, on ne sait rien, on ne sait rien… on ne sait rien, Anna, hein ? On ne sait rien du tout, nous ? », je sens que je suis sur la bonne piste. Elles ressemblent à deux vieilles gamines. C’est du reste ce qu’elles sont, deux gamines de trente ans avec des déguisements en léopard moulants. Leurs vêtements on toujours cet étrange parfum d’herbes provençales, même lorsqu’elles ne fument pas. Ces cigarettes qui leur fabriquent une aura de brume semblent leur chatouiller le cerveau tellement elles les font rire. Leur jeu préféré consiste à m’enseigner des mots nouveaux. Elles ne me révèlent jamais leur sens, mais s’appliquent à ce que je les prononce parfaitement. Parmi tous les noms merveilleux qu’elles m’apprennent, mon préféré restera « cunnilingus ». J’imagine un héros de la Rome antique, Cunnilingus. Il faut le répéter plusieurs fois Cu-ni-lin-gus, Cunnilingus, Cunnilingus. Quel mot fantastique ! Anna et Luna ne viennent jamais les mains vides. Toujours un bouquet de fleurs piquées au cimetière, ou la redingote d’un client mort pendant un coït. Pour mon anniversaire, elles m’ont offert un hamster. Je l’ai appelé « Cunnilingus ». Elles avaient l’air très touchées que je le baptise ainsi. « Cunnilingus, mon amour ! » chantonne toujours Luna en tapotant les barreaux de sa cage du bout de ses ongles vernis.
La quatrième de couverture de l’ouvrage signale la parenté de l’histoire avec le film Freaks de Tod Browning (1932) qui est une véritable merveille.

Pour ma part, le livre de Mathias Malzieu me fait un peu penser à Edward aux mains d'argent de Tim Burton. J'ai d'ailleurs toujours considéré la BO de Danny Elfman comme la musique idéale pour s'endormir tranquillement.

Il est une autre Musique mécanique que j’aime beaucoup. Les paroles sont de Boris Vian, l’interprétation de Juliette Gréco. Une belle filiation.

Etat de veille pour Ingrid Betancourt


Je me souviens : année 2002. Qu’ai-je fait depuis six ans ? Du boulot, des rencontres, des ruptures, des lectures, des soirées alcoolisées à refaire le monde avec des pensées définitives et des propos péremptoires. Des tas de films aussi. 2002, je me souviens de « Parle avec elle » d’Almodovar. Un an plus tard, « Loin du Paradis » de Todd Haynes. Aujourd’hui, c’est elle qui me parle et elle n’est pas loin du Paradis, elle est « par-delà l’enfer ». Et ce n’est pas un film.
Ingrid Betancourt. Enlevée depuis six ans.

4fd4cfa80cf01cae22fd73f45a5fc1bb.jpgVoici le début de la lettre qu’elle a adressée le 24 octobre 2007 à sa mère et à ses enfants (Lettres à maman par-delà l’enfer – Seuil).


Jungle colombienne,

Mercredi 24 octobre

8 h 34

Par un matin pluvieux, comme mon âme
Ma petite maman chérie adorée,

Tous les jours, je me lève en remerciant Dieu de t’avoir. Tous les jours, j’ouvre les yeux à 4 heures et je me prépare, afin d’être bien réveillée lorsque j’écouterai les messages de l’émission La Carrilera de las 5. Entendre ta voix, sentir ton amour, ta tendresse, ta confiance, ton engagement à ne pas me laisser seule, c’est mon espoir quotidien. Tous les jours, je demande à Dieu de te bénir, de te protéger et de me permettre un jour de pouvoir tout te rendre, te traiter comme une reine, à mes côtés, parce que je ne supporte pas l’idée d’être à nouveau séparée de toi. Ici, la jungle est très épaisse, les rayons du soleil y pénètrent difficilement. Mais c’est un désert d’affection, de solidarité, de tendresse, et c’est la raison pour laquelle ta voix est le cordon ombilical qui me relie à la vie. Je rêve de t’embrasser si fort que je demeurerais incrustée en toi. Je rêve de pouvoir te dire « Maman, mamita, plus jamais tu ne pleureras pour moi, ni dans cette vie ni dans l’autre. » J’ai demandé à Dieu qu’il me permette un jour de te prouver tout ce que tu signifies pour moi, de pouvoir te protéger et de ne pas te laisser une seconde toute seule. Dans mes projets de vie, si un jour je retrouve la Liberté , je veux, mamita, que tu songes à vivre avec nous, ou avec moi. Voici ce que nous dit Elie Wiesel dans la préface de cette lettre bouleversante : « Lisez cette lettre. Lisez-la bien. La voix qui s’adresse à vous vous tiendra éveillée la nuit. »

Je pense alors à ce poème de Desnos intitulé « Demain », extrait du recueil Etat de veille :

Agé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard-souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille
,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
A maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore

De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.

Katerine : doublez votre plaisir


On se croit parfois éternellement jeune. Ou plutôt, malgré le démenti formel que nous impose le miroir chaque matin, et que nous faisons semblant de prendre pour le portrait d’un inconnu ou d’un usurpateur, il reste toujours une part de notre esprit qui tente de nous faire croire qu’on a encore quinze ans et demi…alors que ce n’est plus le cas depuis vingt-cinq ans. Je ne veux pas passer mon temps à parler du temps qui passe mais c’est à peu près les réflexions que j’ai pu me faire en repensant à ma découverte du premier album de Katerine et à la première fois que je l’ai vu en concert : ce devait être en 1993. Il y a 15 ans… Bon sang ! Je me rappelle que ce soir là, il faisait la première partie de Miossec, si mes souvenirs sont bons. Nous devions être une cinquantaine dans la salle (un caveau) et le public était visiblement coupé en deux suivant l’artiste que chacun était venu voir. Une partie était réticente, voire réfractaire, l’autre attentive voire subjuguée (c’est moi). C’est à partir de ce jour que j’ai commencé à détester Miossec.
Il est bien loin le temps où, retranché dans ma chambre d’étudiant et tentant de me réchauffer près d’un radiateur à gaz défaillant, j’écoutais Jeannie Longo.

Pour me consoler un peu, et pour fêter nos noces de cristal, Katerine m’offre, grâce à la magie de son dernier livre tel une pampille Baccarat, de doubler ma mémoire. Il est vrai que ces quinze années passées ensemble furent bien remplies, que ses albums ont plus que tourné en boucle à la maison et qu’il fallait peut-être un peu plus de mémoire pour que les disques durent (je sais, elle est facile !).

Bref. Il s’agit d’un journal graphique que Katerine a tenu pendant environ un an. On y trouve des dessins de l’auteur et tous les textes sont des reproductions des manuscrits, fautes d’orthographe comprises. Tout cela serait juste rafraichissant si certaines pages n’abordaient pas des aspects intimes et émouvants du personnage, mais le ton est globalement joyeusement délirant, poétique, onirique. Je ne veux pas trop déflorer l’ouvrage et je ne donnerai donc que quelques courts extraits. 6ef31606c21a9d5c4b5a5d722f03e776.jpgVoici le texte du 29 /12/06 :

A la fin de la journée, je retrouve souvent une petite peluche blottie dans mon nombril. Si j’avais le courage je ferais collection et je tricoterais un pull avec. C’est comme si j’étais une usine fabrique de peluche en permanence sans que je m’en aperçoive. C’est comme si un cordon ombilical de textile ne pouvait s’empêcher de pousser et de repousser !


Un peu plus loin, un exercice d’écriture, avec un cadre réponse, dont voici le sujet :

Commentez cette phrase de Philippe Eveno : « tellement j’déteste, j’adore ». Citez des exemples.
Un peu plus loin, une autre formule paradoxale :



d205130a891514f1b0434ee2f29dc670.jpgJe hais les gens parce qu’ils puent de la gueule et je les aime parce qu’ils puent de la gueule.

Je n’en dirai pas davantage. Je me contenterai d’ajouter l’extrait d’une interview donnée par Katerine au Nouvel Observateur :

J’ai pris plaisir à me jeter dans le public. Je m’en croyais incapable. J’enviais énormément Mathias du groupe Dionysos, quand il plongeait, tel un kamikaze. Je n’en étais pas là. Je me disais : jamais je ne franchirai le cap. Mon premier plongeon, ce fut au village de Beaurepaire, en Vendée, sur le tournage de « Louxor, j’adore ». J’ai plongé dans la foule. C’était le geste pur d’une confiance mutuelle. Dans le public, il y avait des personnes avec qui j’avais eu des démêlés [à l’internat], mais elles étaient là. C’est un geste important qui m’a réconcilié avec le reste de l’humanité, définitivement. J’ai dû faire une dizaine de plongeons. J’ai particulièrement apprécié celui que j’ai fait à Niort, en rappel. Les musiciens n’étaient pas là. J’ai plongé dans le silence, sans musique, c’était complètement impudique. J’entendais les gens parler, un rêve éveillé. Mon plus mauvais plongeon, je l’ai fait en Avignon. Je suis tombé. Mais je n’en tire aucune conclusion sur le Vaucluse. »


On peut plonger sans crainte dans le journal de Katerine, il y aura toujours une page pour nous retenir.

Sophie Calle, artiste qui suit, artiste à suivre


2f770350cf09a83004b45cc334d5105d.jpgIl y a eu un jour où j’ai rencontré le travail de Sophie Calle. J’ai oublié ce jour. Mais je me souviens de tout.
Il y a le jour où j’ai vu son film No sex last night. Cette fois où j’ai acheté ses livres, dans le rayon « inclassables » (!) de mon libraire. La première fois où j’en ai parlé à mes amis. Où il fallait expliquer à quoi ça ressemblait. Et qu’ils m’ont dit que ça me ressemblait. Ce n’était pas vrai. Ca ne me ressemblait pas. Ca ressemblait à certains de leurs fantasmes personnels me concernant, peut-être, mais ça n’était pas moi.
Le jour de ma rencontre avec elle a disparu. Ce n’est pas grave. Je ne souhaite pas faire un travail à partir de cette rencontre. Je souhaite juste rendre compte. De moi. A partir d’elle. C’est marrant de voir comment « à partir », juste cette locution, est ouverte : elle est un début et un affranchissement. Marrant de voir comment, étymologiquement, « partir » englobe partager, « répartition », séparer et se séparer, s’en aller.
Afin de partager mon intérêt pour cette artiste, je vais donc partir de quelques exemples de son travail et l’on verra où cela me mène. Je dis « quelques exemples » mais il en faudrait beaucoup parce qu’il est, je crois, presque impossible de la comprendre sans tout connaître ou presque de son œuvre.
Sophie Calle est d’abord une artiste que j’aime parce qu’elle a énormément travaillé sous contrainte, en s’imposant des règles, à la manière de l’Oulipo et de Georges Pérec, des rituels. J’aime voir comment la créativité s’exerce dans la contrainte. Ainsi, depuis l’âge de 27 ans, elle s’est imposé l’obligation de conserver dans des vitrines tous les cadeaux d’anniversaire offerts par des convives dont le nombre était établi en fonction de son âge. Ce rituel s’est achevé à 40 ans, en présence donc, de 40 invités. Voici comment elle a présenté sa démarche : Le jour de mon anniversaire je crains d’être oubliée. Dans le but de me délivrer de cette inquiétude, j’ai pris en 1980 la décision d’inviter tous les ans, le 9 octobre si possible, un nombre de convives équivalant à mon nombre d’années. Parmi eux, un inconnu que l’un des invités serait chargé de choisir. Je n’ai pas utilisé les cadeaux reçus à cette occasion. Je les ai conservés, afin de garder à portée de main les preuves d’affection qu’ils constituaient. Les photos des vitrines dans lesquelles ont été conservés ces cadeaux peuvent être retrouvées dans le livre « Le rituel d’anniversaire ». J’aime beaucoup l’idée que l’on puisse calmer une angoisse par une démarche claire, simple, ludique et qui permet de se projeter dans l’avenir. Il ne s’agit pas uniquement ici d’une manie de collection, d’accumulation impersonnelle. Il s’agit surtout de se souvenir des témoignages d’amour… que l’on oublie trop souvent, et finalement de voir que l’âge peut être un gain et pas uniquement une perte.
Les contraintes qu’elle s’impose peuvent également s’inscrire dans un jeu. Ce fut le cas dans le cadre de sa collaboration avec Paul Auster. Voici le résumé qu’elle en fait : Dans le livre Léviathan, paru aux éditions Actes Sud [maison d’édition de Sophie Calle également], l’auteur, Paul Auster, me remercie de l’avoir autorisé à mêler la réalité à la fiction. Il s’est en effet servi de certains épisodes de ma vie pour créer, entre les pages 84 et 93 de son récit, un personnage de fiction prénommé Maria, qui ensuite me quitte pour vivre sa propre vie. Séduite par ce double, j’ai décidé de jouer avec le roman de Paul Auster et de mêler, à mon tour et à ma façon, réalité et fiction. […] L’auteur impose à sa créature un régime chromatique composé d’aliments d’une seule couleur par jour : j’ai suivi le même régime. Il lui fait vivre des journées entières basées sur certaines lettres de l’alphabet : j’ai fait comme elle. Sophie Calle raconte ce projet dans De l’obéissance.

d7619632788cf99e511f685490e37b90.jpgDe manière générale, ce qui m’intéresse surtout c’est l’implication personnelle de Sophie Calle dans ses projets et la manière dont elle traite l’autobiographie et le pacte autobiographique qu’elle nous propose par l’image et par le texte. En voici un exemple, extrait de Dix histoires vraies : Le nez J’avais quatorze ans et mes grands-parents souhaitaient corriger cher moi certaines imperfections. On allait me refaire le nez, cacher la cicatrice de ma jambe gauche avec un morceau de peau prélevé sur la fesse et accessoirement me recoller les oreilles. J’hésitais, on me rassura : jusqu’au dernier moment j’aurais le choix. Un rendez-vous fut pris avec le docteur F., célèbre chirurgien esthétique. C’est lui qui mit fin à mes incertitudes. Deux jours avant l’opération il se suicida.


Le travail de Sophie Calle ne se limite pas à quelques anecdotes, il y en a des dizaines, dont on ne sait jamais si elles parlent de la réalité ou de sa vérité.


38dfff8cd4c05ed6c411c8acab1daf36.jpgJ’ai beau regarder, jamais je ne me souviens de la couleur des yeux des hommes, ni de la taille ni de la forme de leur sexe. Mais j’ai pensé qu’une épouse se doit de ne pas oublier ces choses-là. J’ai donc fait un effort pour combattre cette fâcheuse amnésie. Maintenant je sais qu’il a les yeux verts.
Quand Sophie Calle ne livre pas son intimité, c’est à celle des autres qu’elle se consacre : suivre des inconnus dans la rue, se faire femme de ménage dans un hôtel pour témoigner de leurs occupants, reconstituer une personne, sa vie, à partir de son agenda et répertoire.
Je me suis souvent donné l’occasion de travailler avec des élèves sur certains de ses textes et en particulier sur un extrait de l’ouvrage Disparitions qui rapporte les propos et sentiments de personnes ayant côtoyé des tableaux qui ont disparus (volés, brûlés…). J’ai en particulier proposé plusieurs fois le texte concernant le tableau intitulé Le major Davel Charles GLEYRE.doc qui a été brûlé en 1980. Je trouve ce texte très émouvant.

4d4ebbfbb1686e9df3c860a6ba8112f9.jpgSi j’évoque aujourd’hui cette artiste, c’est parce que je viens de terminer un ouvrage la concernant. Il s’agit d’un essai d’Anne Sauvageot intitulé Sophie Calle, l’art caméléon (PUF - 2007) qui est assez concis, facile à comprendre et permet d’avoir un tour d’horizon assez complet de l’œuvre de l’artiste. Il propose également une réflexion intéressante sur l’art contemporain quand il s’empare de l’intime ou quand il joue sur les codes du reality show. Voici un extrait de l’introduction de ce livre :


J’aime Sophie Calle. Nous aimons, vous aimez Sophie Calle – à moins bien sûr qu’elle ne vous irrite ou ne vous agace trop. En toute réciprocité, Sophie Calle nous aime et vous aime puisqu’elle nous fait présent de son intimité et nous ouvre les porte de sa vie privée en nous donnant à la partager – du moins par procuration. Nous en connaissons les bonheurs et les malheurs, les peurs et les excitations, les amitiés et les indifférences. Sophie Calle se dit, se montre et s’affiche. Nous connaissons les couleurs de ses draps, de ses menus, de ses humeurs et une telle exposition de soi sur la scène publique nous plongerait d’emblée dans la télé-réalité, si nous ne savions que Sophie Calle est une artiste, et non des moindres […] De telle sorte que surgit la question irrépressible : suffit-il d’être une artiste – a fortiori des plus reconnues – pour que s’opère la distinction entre création et consommation, entre délit pour initiés et variété populaire ? Sous son air narquois, la question est sérieuse même si elle est loin d’être nouvelle : suffit-il de nommer l’art pour qu’il en soit et suffit-il d’en conquérir les réseaux mondains et professionnels pour que l’artiste, qui aspire à l’être, en soit une ?


Il y a eu un jour où j’ai rencontré le travail de Sophie Calle. J’ai oublié ce jour. Mais je me souviens de tout.

Mérovée de Nocolas Jones-Gorlin

L’actualité dans le domaine domaine de la littérature gay est assez riche et je vais tâcher d’en rendre plus ou moins compte. 90865384a7e3502b178503fe75816d40.gifPour commencer : Mérovée de Nicolas Jones-Gorlin, dont voici la première page.

« Je crois que je suis tombé amoureux de Rachid la première fois que je l’ai vu. C’était dans le parking du bâtiment B 12 de la cité des Bosquets de Montvermeil. Il était appuyé contre un mur. Ses cheveux étaient trempés de sueur. Et ses yeux ressemblaient à ceux des biches que mon père m’emmenait chasser quand j’avais 12 ans et que je vivais encore à la ferme. Immédiatement, il m’a rappelé ces jeunes esclaves des films de gladiateurs devant lesquels je me branlais quand j’étais gosse. Même peau sombre. Même bouche en forme de rose. Même silhouette juvénile, mince. Généralement, ils sont là pour enduire les corps hyper-musclés des lutteurs. Le metteur en scène se tape toujours un gros plan de leurs petites mains fines qui se promènent sur les muscles puissants et saillants des combattants de l’arène. Mais j’étais pas là pour me branler. J’étais là pour tuer.Pour le tuer. »

Le ton est donc donné dès la première page : la cité, un petit beur façon caillera, un flic, une histoire d’amour et un conflit intérieur terrible. De fameux ingrédients sont donc réunis mais l’auteur en fait une macédoine très indigeste tant son tour de main est maladroit. On a beau se dire que l’histoire nous est racontée par le flic qui domine l’ouvrage de son point de vue et de son écriture mais on frôle l’indigestion tant le propos est creux et dépourvu de tout talent littéraire.

Ouverture du chapitre 19 :
« - Non. C’est ça qu’il me répond, le père de Rachid, quand je lui demande de venir au commissariat avec sa femme… »

Ouverture du chapitre 22 :

« - Je savais que vous viendriez, jeune homme… C’est ça qu’il me dit, le père de Rachid, quand je le trouve devant le commissariat. »

Je ne vais pas décortiquer point par point les qualités d’écriture de l’auteur et je dirai simplement que le tout forme un ouvrage dont la lecture s’exécute aussi rapidement qu’une éjaculation précoce et avec la même absence de plaisir. On en reste même avec la cruelle impression d’avoir vu un « Wesh cousin » bourré de Valium et égaré dans la collection Harlequin.

Voici la critique de Jacques Nerson extraite du Nouvel Observateur.
"Cinq ans après le scandale de Rose bonbon (le livre donnant la parole à un pédophile, plusieurs associations de protection de l'enfance voulurent le censurer), Nicolas Jones-Gorlin fait son come-back. Conte bleu déguisé en roman noir, Mérovée ne risque pas de lui attirer les mêmes ennuis. Entré dans la police pour fuir sa cambrousse natale et ses penchants serets, Jean s'est laissé entraîner dans le groupe Mérovée : des flics fachos qui se prennent pour Charles Bronson et jouent les justiciers dans la ville. Au moment d'éliminer un témoin gênant, Jean baisse le canon de son arme. trop canon, ce Rachid. Keuf et beur filent le parfait amour. L'histoire, quoique bien racontée, fait un peu image d'Epinal. Vous verrez qu'un de ces jours elle donnera matière à un téléfilm édifiant. L'auteur n'a-t-il d'autre choix que le soufre ou l'eau de rose ? »

lundi 7 avril 2008

Sur le fleuve d'Hermann Schulz


af847f64ed31df6826d32693cf3b79d5.jpgCet ouvrage de littérature pour la jeunesse m’a été conseillé par une collègue… qui a très bien fait (merci Séverine !). Le sujet peut paraître un peu ardu de prime abord : Friedrich Ganse, un allemand, est missionnaire en Afrique de l’est dans les années 30. Il vit là avec sa femme, qui va mourir, et sa fille, qui tombe brutalement malade, et qu’il va tenter de sauver. Pour rejoindre la ville et son hôpital, il devra descendre le fleuve et faire escale chaque soir dans un village différent où ils seront pris en charge par les villageois.
L’ouvrage est en fait le récit d’une suite de sauvetages : celui d’un noir qui, par provocation, dès les premières pages, va narguer l’occupant anglais en décrochant leur drapeau et pour lequel Ganse va intercéder. Celui de sa fille, bien sûr, mais c’est surtout du sauvetage de Ganse lui-même qu’il s’agit. Il semble en effet prêcher dans le désert et passe par une sorte de crise de vocation.
« La pluie le bloqua pendant trois jours et trois nuits. Il avait pensé mettre ce temps à profit pour donner des cours d’alphabétisation aux habitants de Bukindo ou prêcher l’Evangile, mais, d’un simple geste intransigeant de la main, le chef du village lui avait fait comprendre que ce n’était pas le moment de parler des dieux. Ganse n’avait pas protesté. » Là est peut-être le problème. L’ampleur de sa tâche de missionnaire est énorme, il ne se bat pas autant qu’il le devrait, d’après lui, et en éprouve un certain sentiment de culpabilité. « Mais, malgré ses nombreux prêches, ses visites dans les cases et les soins qu’il apportait aux malades, presque personne ne s’était fait baptiser et il en éprouvait une grande tristesse. Peut-être était-il tout simplement un mauvais missionnaire ? »
Ganse semble tenir un discours qui n’a pas de sens pour ceux qui l’entourent et même pour lui. Le premier paragraphe de ce récit est éclairant sur ce point : « Les perroquets étaient blottis à l’ombre, dans les plus hautes ramures : ils n’aimaient pas le soleil. Ils attendaient la pluie pour pouvoir lisser leurs plumes. Beaucoup de branches étaient fort abîmées par leurs griffes, leurs becs et leurs fientes. Ils jacassaient et rouspétaient comme de vieux ivrognes auxquels nul ne prête attention, et regardaient d’un air morne la place de la gare de Kigoma, déserte sous le soleil ardent de midi. » Les colons sont à l’image de ces perroquets : inadaptés au climat d’un pays qu’ils souillent et qu’ils toisent avec dédain. Ganse également est un de ces perroquets : il répète un discours qui n’a aucune valeur face à des habitants qui ne le comprennent pas, qu’il prend pour des attardés mais dont les connaissances, pourtant, le dépassent. Un discours perdu entre rationalité médicale et conviction religieuse.

Le voyage qu’il va effectuer, halluciné de fatigue et de peur, l’obligera à revenir progressivement sur sa vie, ses croyances et ses préjugés sur la sorcellerie. Il va enfin s’ouvrir au monde qui l’entoure et en découvrir la « qualité ». « Il avait l’impression d’être lui-même un enfant à qui il faut dire ce qu’il doit faire. Frappé d’une incapacité qui lui était inconnue. Il avait toujours été sûr de lui dans tout ce qu’il faisait, dans la vie quotidienne comme dans son travail. Subitement, c’était tout l’inverse. Il n’avait pourtant pas le choix : il devait prendre une décision. » C’est là un homme que l’inspiration divine a abandonné. Il doit tout réapprendre… y compris à écouter les autres qu’il ne comprend pas, ce qui est un comble vu sa mission : « S’ensuivit une discussion animée et confuse entre les Africains, mais il n’en comprit pas un mot à cause du bruit du moteur », « Friedrich entendait leurs voix de loin, comme dans un rêve : le noir qui prononçait le nom de Gertrud et la fillette qui lui répondait tout bas. Mais il ne comprenait pas ce qu’ils disaient. ». Il va progressivement comprendre que le langage des gestes est le plus important, le plus tangible : « Ils lui parlèrent mais il ne comprit pas un mot. Il essaya de s’adresser à eux en kiha et en swahili, puis en anglais. Vainement. En désespoir de cause, il dit quelques mots en allemand, posa son arme contre un tronc d’arbre et montra la fillette inerte entre ses bras. » L’Esprit Saint était descendu sur les Apôtres de Jésus et leur avait permis de parler toutes les langues. Le vrai langage cependant peut se passer de mots : ce peut être la douleur d’un père dont la fille unique est sur le point de s’éteindre. L’incommunicabilité dans laquelle il est plongé l’inquiète : « Le fait de ne pouvoir s’exprimer verbalement éveillait en lui un sentiment d’impuissance. Il aurait voulu au moins remercier ces gens, leur demander ce qu’ils avaient fait à sa fille. Mais c’était peine perdue : il ravala sa déception. » Ces villageois appliquent pourtant un précepte d’origine religieuse qu’il connaît : ils donnent sans chercher à recevoir. Pourquoi ne le voit-il pas ? Parce qu’il n’envisage pas que les valeurs dont il est porteur puissent avoir une valeur universelle. Il se croit seul détenteur de la sagesse qui lui a été enseignée sans envisager que c’est aussi une valeur qui peut être acquise par l’expérience et qui peut prendre l’apparence de la sorcellerie. Ganse va progressivement le comprendre : « On se décide parfois contre ce que l’on aime, se disait-il, et on ne sait pas ce qu’on aura en échange. On n’a pas le choix. » Ce passage coïncide avec le moment où il perd sa Bible : « Il eut une sueur froide, comme l’impression d’avoir failli à un devoir essentiel. Ou de s’être laissé arracher une arme des mains. » En l’occurrence, il s’agit d’un arme qui tue le vrai rapport à l’autre.

Pour aider sa fille, les villageois, pour qui la transmission orale est vitale, conseillent à Ganse de lui raconter des histoires. Il va donc s’exécuter et raconter une première histoire, sa propre histoire d’un moment d’intimité vécu avec son père et leur chien nommé Ruisseau… je rappelle que Ganse vit un moment d’intimité avec sa fille sur le fleuve. Cette histoire a le pouvoir de redonner un peu de vie à sa fille : « Gertrud avait l’impression de voir la cabane et de sentir l’odeur de paille et de poussière. » Mais c’est surtout à Ganse que ces histoires vont servir. Il s’agit là d’une anamnèse indispensable durant laquelle il va reprendre possession de sa vie qu’il avait laissée de côté au profit de sa mission. Il raconte ainsi sa rupture avec son père et son entrée en religion avec la découverte d’un Père de substitution, tout puissant.
J’en reste là de ce petit exposé, je ne veux pas déflorer davantage cette histoire. Une question demeure : comment conseiller ce livre à un élève de 3ème ou de 4ème ? Premier argument de poids pour un élève : il ne fait que 135 pages. C’est important. On peut ensuite ajouter que cette brièveté n’empêche pas une certaine complexité du message que l’on y trouve, au-delà de tout manichéisme. On peut enfin l’inviter à découvrir les bénéfices de l’ouverture à l’autre quand on ne se ferme pas à soi-même. Il ne lui restera plus qu’à faire son chemin avec ça… même si ça doit lui prendre quelques années !

Poétique de Gus Van Sant : Paranoid Park


84788637366761cbdb4b9024be2ef3ef.jpgParanoid Park de Gus Van Sant.

Chaque fois que je sors de la projection d’un film de Gus van Sant, je me trouve dans une sorte d’état d’hébétude assez étrange et les mots me manquent pour l’expliquer. Voilà qui va ravir ceux qui trouvent mes notes beaucoup trop longues !
La première fois que je me suis trouvé dans cet état c’était après avoir vu Gerry sorti en 2002, un film silencieux qui invitait à se taire. On y voyait deux jeunes hommes marcher dans une nature brute et de plus en plus brutale. L’itinéraire était tout autant géographique que psychologique, la trajectoire tragique. Ce fut la même chose pour 49da4dc11d61d2d00a5a8562bb64e761.jpgElephant et c’est encore le cas pour Paranoid Park. Dans ces trois films, des adolescents, à la beauté envoutante, androgyne et évanescente, se déplacent dans un univers sinueux, qui semble hors du monde de ceux qui les entourent. Elephant et Paranoid Park ont de nombreux points communs dans la manière dont ils présentent ces adolescents.
Le premier concerne leurs vêtements : casquettes, pantalons baggy, T-shirt arborant des inscriptions. Ces dernières semblaient avoir un sens dans Elephant où l’on voyait la représentation d’un taureau, ou l’inscription Lifeguard. Force et protection arborées avec nonchalance dans un film annonçant une tuerie dont ils allaient être victimes. Dans Paranoid Park, ces inscriptions semblent plus obscures, les messages sont brouillés, difficilement lisibles. Le signe ne fait plus sens aussi nettement. L’adolescent semble avoir abandonné sa fonction de vitrine.
Autre point commun : l’univers scolaire dans lequel ils évoluent. Nous sommes dans des établissements aux longs couloirs tapissés de casiers dans lesquels semble s’être réfugié leur espace d’intimité. Ainsi, chaque adolescent est rangé dans une case et c’est donc un lieu où se construisent des communautés : les Nerds, les Cheerleaders, les Skaters. Ces communautés ne souffrent aucune porosité ou quand bien même y aurait-il contact, rien de positif ne peut en ressortir. Leurs effets s’annulent.
Ainsi Alex, le héros de Paranoid Park, appartenant aux skaters, ne semble rien ressentir suite à son premier rapport sexuel alors que sa petite amie, appartenant aux Cheerleaders, téléphone immédiatement à sa meilleure copine pour lui dire que c’était génial et qu’elle planifie aussitôt le rapport suivant et l’achat nécessaire de préservatifs. Alex, totalement absent, et absorbé par des problèmes d’une autre sphère, rompra rapidement avec elle. Ce passage m’a d’ailleurs rappelé le court-métrage de Larry Clarck intitulé Impaled, extrait du film Destricted sorti en avril de cette année. Dans ce documentaire, le réalisateur filme de manière très réaliste le casting de très jeunes hommes qui souhaitent tourner dans un film pornographique. Pour certains, c’est l’occasion d’avoir leur premier rapport sexuel. Ils parlent d’eux, de leurs envies et exhibent leurs corps : tous sont épilés, tatoués. Pourquoi ? « Les hommes sont comme ça dans les films X » (je résume l’idée générale). Leur objectif consiste seulement à accomplir une performance sexuelle. La question des sentiments n’est pas évoquée.2e236d3404cdf467cc8c4b1c59181d7a.jpg L’un des garçons sera choisi, aura son rapport avec une actrice professionnelle. Il découvrira à cette occasion que parfois, ce rapport n’est pas toujours très propre, et n’est pas exempt de certains accidents mais peu importe, au moins, il aura « fait du sexe ».

Il suffit d’ailleurs de regarder la définition de « rapport » dans le Robert pour découvrir que cette notion est au centre de Paranoid Park dans toute sa polysémie (ce n’est pas un film français donc, a priori, on ne peut pas jouer sur les parentés sémantiques, mais je m’en moque !). Alex a un rapport sexuel, une relation qui ne relie pas, bien au contraire, qui éloigne. Alex ne sait plus comment faire des relations entre les événements de sa vie et du monde, il ne sait pas quel rapport sa vie peut avoir avec la guerre en Irak, par exemple, même s’il pressent qu’il peut y avoir un lien. Il est à un moment difficile de sa relation avec Jared son ami, qui s’éloigne de lui pour avoir un rapport sexuel, ce qu’il ne comprend pas. Jared s’éloigne alors qu’il avait promis d’être là et c’est à cause de cette défection que les choses vont empirer. Il élabore enfin un rapport circonstancié de ce qui lui est arrivé pour s’en libérer, la seule manière qui lui reste de véritablement relier les choses, dans leurs causes et leurs conséquences. Ainsi, il apparaît comme nécessaire de sortir de soi, de s’objectiver, pour reprendre possession de cet autre qui est soi quand on s’y est à nouveau reconnu.
Pour en revenir au film, le lycée est également un lieu où se manifestent les adultes. Ce sont essentiellement les professeurs de sciences physiques qui sont montrés. Dans Elephant, nous assistons à un cours sur l’atome : l’adolescent est cet atome irréductible qui, si l’on tente de le réduire, devient explosif. Dans Paranoid Park, il est question de la poussée d’Archimède, processus d’action-réaction (la référence aux Choristes n’est peut-être pas si stupide qu’il y parait !) et de débordement qu’il faut apprendre à comprendre. Nous sommes encore dans le rapport cause-conséquence.
Mais la physique rejoint parfois le physique et cette notion de débordement apparaît selon moi d’une manière larvée à travers le vomissement. Les trois jeunes filles de Elephant se faisaient vomir pour rester minces. Elles s’apprêtaient ainsi à entrer dans le pathologique en se soumettant à la dictature vide d’une apparence frelatée. Le petit frère d’Alex vomit chaque fois qu’il mange depuis la séparation de ses parents. Alex vomit après avoir regardé les photos du cadavre de l’homme qu’il a tué. La pression oblige à se vomir, à « rendre » quelque chose qui a été donné et qui est insupportable. C’est dans ces deux derniers cas un signe de souffrance et un outil de protection.
C’est aussi dans les établissements scolaires que le lien hiérarchique est le plus évident. Rencontre du Proviseur, dans Elephant, qui gère les absences – mais de quelles « absences » est-il question ? - ou du policier qui mène l’enquête : ils sont les vecteurs de sanctions possibles alors que les parents sont toujours ou défaillants ou absents. Ces derniers ne sont jamais représentés à part entière : la mère d’Alex est toujours de dos ou lointaine, tronquée. Son père, bien qu’attentionné, est tatoué (trop marqué ? trop inscrit ?), trop éloigné (géographiquement et donc moralement), les parents de Jared sont en voyage. A deux reprises, Alex se montre incapable de parler à son père. Père, pourquoi m’abandonnes-tu alors que je suis incapable de te demander de l’aide ?
Enfin, l’adolescence est montrée comme un moment de passage. Dans Elephant, il s’agit d’un terrible et monstrueux passage à l’acte final. Dans Paranoid Park, le passage à l’acte est initial mais a pour origine la transgression maladroite d’un interdit. Alex, pour passer d’un monde à l’autre, tente de prendre le train en fraude. Il est initié pour cela par une sorte de père de substitution qu’il rencontre dans le fameux parc de la paranoïa. Un homme plus âgé que lui emprunte son skate dont, d’ailleurs, il ne sait même pas se servir parce que son mode de déplacement est autre. C’est lui, en effet, qui initie Alex et lui montre peut-être trop rapidement comment il est possible de franchir le pont en attrapant un train qui passe. Les conséquences seront terribles pour lui. A cet égard, les premières images du film sont symboliques : on y voit un pont sur lequel circulent des voitures en images accélérées. C’est l’espace des adultes. C’est aussi de ce pont qu’Alex jettera son skate-board, outil de déplacements trop lents mais qu’il a trouvés valorisants et esthétiques pendant un certain temps. Et c’est aussi sur ce skate-board qu’on trouvera des traces d’ADN, des traces de son crime et de son état d’adolescent maladroit. Cet objet est donc à la fois l’identifiant de son appartenance à un groupe (il lui sera d’ailleurs dit que le nouveau skate qu’il a acheté fait tapette), l’identifiant de son crime et un objet de passage.
Elephant et Paranoid Park ont un autre lieu en commun : la douche. Les deux tueurs d’Elephant en prennent une avant de commettre leur carnage. C’est d’ailleurs un moment émouvant du film : l’un des deux avoue qu’il aimerait bien embrasser quelqu’un avant de mourir. Alex, quant à lui, prend une douche après avoir tué. Cela donne dans les deux cas parmi les images les plus prenantes à mon avis de ces deux films. Un premier et dernier baiser caché par une vitre de la douche. Un instant magique où Alex, la tête sous l’averse purificatrice est transporté dans le cadre sonore d’une sorte de forêt tropicale sous la pluie. Cette illustration sonore peut paraître saugrenue à ce moment du film, mais elle nous renvoie à l’image d’un adolescent-forêt aux cheveux-branchages d’une très grande poésie, un adolescent-monde.
La bande originale, dans son ensemble, a fait l’objet d’un traitement très soigné. On y repère par exemple une grande utilisation des musiques écrites par Nino Rota pour Fellini et en particulier des extraits d’Amarcord et de Juliette des esprits. bccb7512a481549e53264f9bcb3b25f3.jpgL’un de ces extraits illustre d’ailleurs la scène de rupture d’Alex et de sa petite amie et c’est un morceau d’anthologie très comique à mon goût ainsi qu’une manière intéressante de représenter la scène de rupture. C’est également très amusant de montrer cette scène, où Alex rompt les amarres, en l’illustrant par la musique d’Amarcord.

Plus généralement, je considère ce film comme un véritable objet poétique, qui met la forme au service du fond en employant tous les outils formels qu’un réalisateur a à sa disposition. Images ralenties, accélérées, flous, ellipses, chorégraphies. Ce n’est pas une leçon de cinéma, c’est une leçon d’auteur inscrit dans une tradition de représentation cinématographique, c’est la véritable expression de l’individualité d’un créateur qui a pris l’adolescent pour thème et qui revisite la figure presque christique d’un individu qui ne sait plus s’il est dépositaire des problèmes de son état ou de toutes les difficultés du monde.

Pour en savoir plus sur le tournage, on peut se rendre ici