Il se compose principalement de trois parties : Des manières de ne pas lire, Des situations de discours, Des conduites à tenir.
Oui mais voilà : La lecture n’est pas seulement connaissance d’un texte ou acquisition d’un savoir. Elle est aussi, et dès l’instant où elle a cours, engagée dans un irrépressible mouvement d’oubli (p.55). Et l’auteur rappelle ici quelques phrases de Montaigne. Voilà donc l’enjeu de cet essai : à travers nos discours sur les livres, nous révélerions certaines caractéristiques de notre « nature humaine ». Il y a d’abord, dans cette « nature », outre la faculté d’oubli, une quête d’absolu : Tissé des fantasmes propres à chaque individu et de nos légendes privées, le livre intérieur individuel est à l’œuvre dans notre désir de lecture, c’est-à-dire dans la manière dont nous recherchons puis lisons des livres. Il est cet objet fantasmatique en quête duquel vit tout lecteur et dont les meilleurs livres qu’il rencontrera dans sa vie ne seront que des fragments imparfaits, l’incitant à continuer à lire (p.83). Je retiendrai de cette citation les termes répétés de fantasmes et fantasmatiques qui renvoient à cette intimité que l’on peut entretenir avec les livres, tremplins de nos rêveries individuelles, mais aussi témoins sourdement révélés de notre solitude : Ce sont les livres intérieurs qui rendent si difficiles les échanges sur les livres, faute que puisse s’unifier l’objet du discours. Ils participent de ce que j’ai appelé dans mon ouvrage sur Hamlet un paradigme intérieur, c’est-à-dire un système de perception de la réalité si singulier qu’il est impossible à deux paradigmes d’entrer en réelle communication (p. 84). Nous serions donc renvoyés à une incommunicabilité fondamentale : Ce que nous prenons pour des livres lus est un amoncellement hétéroclite de fragments de textes, remaniés par notre imaginaire et sans rapport avec les livres des autres, seraient-ils matériellement identiques à ceux qui nous sont passés entre les mains (p.86).
Par ailleurs, la pression sociale est énorme : parler d’un livre que l’on a lu, que l’on a vaguement lu, que l’on n’a pas lu, n’est pas un acte anodin. Et c’est d’autant plus le cas aujourd’hui alors que nous sommes tous supposés avoir lu quelques ouvrages, ne serait-ce qu’au collège ou au lycée (selon les textes officiels, de la 6ème à la 1ère, un élèves est censé avoir lu [ou peu lu ou non lu] au moins trente livres) : Aussi conviendrait-il, pour parvenir à parler sans honte des livres non lus, de nous délivrer de l’image oppressante d’une culture sans faille, transmise et imposée par la famille et les institutions scolaires, image avec laquelle nous essayons en vain toute notre vie de venir coïncider. Car la vérité destinée aux autres importe moins que la vérité de soi, accessible seulement à celui qui se libère de l’exigence contraignante de paraître cultivé, qui nous tyrannise intérieurement et nous empêche d’être nous-mêmes (p.119). J’ajouterais que parler d’un livre aujourd’hui, c’est aussi prendre le risque de passer pour le pire être de la terre : un intello (bien que je ne sache pas exactement ce que cette appellation recouvre). Plus précisément, c’est bien de l’identité, et de toute sa complexité - puisqu’elle s’inscrit dans une historicité - qu’il est question : Reconnaître que les livres ne sont pas des textes fixes, mais des objets mobiles, est en effet une position déstabilisante, puisqu’elle nous confronte, par le biais de leur miroir, à notre propre incertitude, c’est-à-dire à notre folie (p.131). Une folie qui consisterait à nous croire figés à jamais, une folie qui nous montre que nous ne le sommes pas, fou, grâce à une de nos qualités, qui peut être aussi une grande souffrance : notre regard tout aussi rétrospectif qu’introspectif et, à l'occasion - et c'est le pire - projectif.
Mais l’un des arguments qui parcourt cet essai est le suivant : le discours sur les ouvrages, quel que soit notre degré de connaissance de ces derniers, leur critique, est un espace qui témoigne de notre propre relation au monde, à un milieu, à l’autre et à la création en général.
Il y aurait plus à apprendre du discours d’une personne qui n’aurait pas lu un livre, et dont elle parlerait spontanément, sans entrave si ce n’est celle d’un interlocuteur bienveillant ou de la qualité du regard que celle-ci porte sur elle, que d’une personne qui en parlerait en connaissance de cause et qui, alors, n’aurait pas exprimé toute sa créativité. J’en conclus donc que vous n’avez pas appris grand-chose de moi ce soir.
Il reste que cet essai, me semble-t-il, est parcouru par un discours psychanalytique latent. Je crois d’ailleurs que cet ouvrage est l’histoire masquée d’une analyse, l’auteur étant un universitaire qui a le discours sur le livre pour objet... et qu'il est psychanalyste. Il est donc assez normal qu'il privilégie les mécanismes d'associations libres au lieu de la rigueur scientifique.
Lacan disait, si mes souvenirs sont bons (mais je n’en suis pas sûr du tout, je ne l’ai jamais lu) : Aimer, c’est donner ce que l’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. Ecrire, c’est peut-être la même chose. Mais je ne sais pas du tout ce que ces deux dernières phrases signifient.
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