mardi 8 avril 2008

La part obscure de nous-mêmes d'Elisabeth Roudinesco


bbd896018ee7c0b271e3bc2bca326ac6.gifUne histoire des pervers.
Voilà un ouvrage court, pédagogique, accessible, documenté : une vraie réussite. Il s’agit pour l’auteur d’explorer le concept de perversion et d’en définir les différentes dimensions, historiques, littéraires, psychologiques. « Où commence la perversion et qui sont les pervers ? Telle est la question à laquelle tente de répondre ce livre qui réunit des approches jusque-là séparées, en mêlant à une analyse de la notion de perversion non seulement des portraits de pervers et un exposé des grandes perversions sexuelles, mais aussi une critique des théories et des pratiques qui ont été élaborées, notamment depuis le XIXe siècle, pour penser la perversion et désigner les pervers ».


015b009c39898fdd1e01ec3bb818dd56.jpgAu-delà de nos préjugés étriqués sur la perversion dont nous ne voyons que l’aspect négatif, l’auteur précise qu’elle est aussi « créativité, dépassement de soi, grandeur. En ce sens, elle peut être entendue comme l’accès à la plus haute des libertés puisqu’elle autorise celui qui l’incarne à être simultanément un bourreau et une victime, un maître et un esclave, un barbare et un civilisé. La fascination qu’exerce sur nous la perversion tient précisément en ceci qu’elle peut être tantôt sublime et tantôt abjecte ». C’est donc toute l’ambiguïté de la perversion qui sera abordée ici à travers une analyse historique qui nous mènera des expériences mystiques à nos jours en passant par Sade, le siècle des Lumières, Flaubert, Oscar Wilde, le nazisme…

Première étape, donc, les expériences mystiques : « Si, de nos jours, le terme d’abjection renvoie au pire de la pornographie à travers des pratiques sexuelles liées à la fétichisation de l’urine, des matières fécales, du vomi ou es fluides corporels, ou encore à une corruption de tous les interdits, il n’est pas séparable, dans la tradition judéo-chrétienne, de son autre facette : l’aspiration à la sainteté. Entre l’ancrage dans la souillure et l’élévation vers ce que les alchimistes appelaient autrefois le « volatile », en bref entre les substances inférieures- du bas-ventre et du fumier – et les substances inférieures – exaltation, gloire, dépassement de soi -, il existe donc une étrange proximité, faite de déni, de clivage, de répulsion, d’attirance » Elisabeth Roudinesco en donne un exemple : « Catherine de Sienne [1647-1690] déclara un jour n’avoir rien mangé de si délectable que le pus des seins d’une cancéreuse. Et elle entendit alors le Christ lui parler : « Ma bien-aimée, tu as soutenu pour moi de grands combats et, avec mon aide, tu es restée victorieuse. Jamais tu ne m’as été plus chère et plus agréable […] Non seulement tu as méprisé les plaisirs sensuels, mais tu as vaincu la nature en buvant avec joie, par amour pour moi, un horrible breuvage. Eh bien, puisque tu as fait une action au-dessus de la nature, je veux te donner une liqueur au-dessus de la nature. »

b697dae394508e3facdab5200d79f4ae.jpgLe chapitre suivant aborde les écrits sadiens et un passage en particulier m’a intéressé : « l’acte sexuel pervers, dans sa formulation la plus hautement civilisée et la plus sombrement rebelle – celle d’un Sade non encore défini comme sadique par le discours psychiatrique -, est d’abord un récit, une oraison funèbre, une éducation macabre, en bref, un art de l’énonciation aussi ordonné qu’une grammaire et aussi dépourvu d’affect qu’un cours de rhétorique ». J’aime beaucoup l’idée d’un acte sexuel pervers qui est d’abord un récit, comme si le plaisir même de cet acte se tenait dans le discours, comme si l’on pouvait faire des mots comme on fait l’amour. Mais l’auteur reprend la phrase de Roland Barthes : « Ecrite, la merde ne sent pas. Sade peut en inonder ses partenaires, nous n’en recevons aucun effluve, seul le signe abstrait d’un désagrément ».


A travers de très nombreux exemples et des analyses d’une grande finesse du monde contemporain (que je laisse au futur lecteur le soin de découvrir), l’auteur montre parfaitement que considérer la perversion ou la déviance comme une simple maladie que la science suffirait à expliquer et à corriger pourrait mener aux pires horreurs en tentant d’éradiquer ce que l’homme a de pire en lui, mais ce qu’il a aussi de meilleur dans ses transgressions et ses inventions. « Que ferions-nous si nous ne pouvions plus désigner comme des boucs émissaires – c’est-à-dire des pervers – ceux qui acceptent de traduire par leurs actes étranges les tendances inavouables qui nous habitent et que nous refoulons ? » Pour voir une étude plus complète de cet ouvrage, l'aricle du site nonfiction.fr est parfait


En forme de conclusion personnelle, la bande-annonce (pas très réussie je dois bien le dire) de Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol, un de mes films favoris.


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