mardi 8 avril 2008

Des Amants de Daniel Arsand


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Voici le premier chapitre de cet ouvrage :
Dieu ! quelle banalité en ce temps d’avant le chaos et les libertés proclamées que d’avoir un père laboureur et une mère touilleuse de revigorantes mixtures. On est en 1749.
Tandis qu’Alain Faure arpente les champs, halète, sue, les doigts crispés sur le mancheron, et vieillit en accéléré, tandis qu’Elise, son épouse, nourrit la volaille ou cueille la mélisse ou l’armoise, leur fils, Sébastien, mène sur la lande son petit troupeau de chèvres et de brebis.
Sébastien a quinze ans. Maigriot et le cheveu comme du foin gelé. De caractère apparemment placide. C’est un rêveur, un contemplatif. Espèce rare chez le paysan. Qui a le regard dans le vague et l’esprit trop souvent au pays des songes est châtié. On l’oblige aux besognes les plus dures. On l’accable d’insultes. Certains soirs de beuverie de bonnes âmes badigeonnent d’excréments un gars de cette espèce, afin qu’il sache que la réalité a une sale odeur et que la supporter est une nécessité. Il sera, si le Diable ne le protège pas, un de ces persécutés que l’on retrouve parfois se balançant au bout d’une corde et couronné de choucas. Sébastien Faure a échappé jusqu’à aujourd’hui au supplice de la merde et aux quolibets venimeux. Sans doute parce que sa mère en terrifie plus d’un. Ses incantations et ses breuvages ont déjà rendu plus d’un gaillard mou comme une chique.
Il admire Elise, il la respecte, quant à l’aimer, il ne sait pas, peut-être ne l’aime-t-il pas assez pour que ce soit vraiment de l’amour. Sans doute est-il de ces hommes qui naissent le cœur sec. Entre vivant, n’est-ce pas, ne garantit pas d’avoir un cœur.
Le cadre est clairement posé : nous sommes au milieu du XVIIIème et nous pressentons clairement que le jeune Sébastien va faire partie de « ces persécutés » dont il est immédiatement question. Rapidement, ce pressentiment sera confirmé : il va rencontrer Balthazar de Créon, un jeune noble, et leur amour sera passionné et terrible. J’aime particulièrement ce premier chapitre pour son économie, et surtout pour son style et ses images. J’aime « le cheveu comme du foin gelé », j’aime également cette image du pendu « couronné de choucas », nos bruyants charognards campagnards, et ces parfums de merde, de mort et de plantes sauvages auxquelles la superstition prête des vertus mystérieuses. Ce chapitre est à l’image des 99 chapitres suivants, tout aussi courts, olfactifs et visuels. Ils sont à l’image des miniatures que peignait le père de Balthazar, un art que va également explorer Sébastien. De précieux condensés où les paysages se font parfois états d’âmes et prémonitions :
« Ils viennent de faire l’amour, et voilà que Sébastien avoue à Balthazar qu’il a commis un sacrilège. Il extrait de la cassette une miniature qu’avait exécutée Louis de Créon. Il a estampillé de noir un coin de l’œuvre, un noir de suie. La nuit surgit en plein jour. Salit des ramures ».
D’autres personnages s’inscrivent, telle la Princesse de Créon dans d’odorantes miniatures :
« Elle prend ses repas au rez-de-chaussée, dans une sorte de boudoir, à une table richement parée, dressée près d’une porte-fenêtre donnant sur un jardin mouchoir de poche, verdi de buis et jauni à un de ses angles par un buisson de roses ».
L’image pourrait paraître belle, mais le « verdi de buis et jauni à un de ses angles » distille une mélancolie d’aquarelle moisie tandis que les roses ne semblent plus qu’épines.
Mais c’est bien le buis, plante aussi persistante que sa désagréable odeur, qui domine le paysage comme en témoigne encore la Princesse de Créon :
« C’est un théâtre de buis et de roses que je contemple de ma fenêtre mais un théâtre où n’évolue aucun acteur ».
Cette persistance odorante et presque maléfique est confirmée par les sensations de Sébastien :
« Il s’émerveille de la splendeur de ce parterre, dont il est le sorcier. Des tulipes, et puis des roses. Les buis sont bien taillés. Ils embaument. Après la taille, son corps sent l’amer. C’est un parfum. C’est le sien, et pour longtemps ». Comme si domestiquer la nature, la tailler, la modifier, ne pouvait laisser qu’une grande amertume. Je ne peux m’empêcher de penser à la symbolique du buis qui allie les forces de vie et de mort, ce buis béni au jour des Rameaux qui célèbre à la fois la mort du Christ martyr et sa vie éternelle.
Si la nature est souvent là, elle l’est dans toute son ambiguité. Alors, si elle peut parfois se montrer apaisante, elle sait, comme les potions médicinales qu’elle inspire, être sournoise, menaçante et dévorante.
«Le petit troupeau musarde. Il broute une herbe rase entre des épineux. La ronce colonise. Elle semble sans cesse prête à se multiplier, à vouloir prendre dans ses nasses sarmenteuses le berger et ses bêtes, et pourquoi pas l’univers ? »
Plus loin :
« En toute saison une armée de jardiniers déploie une colossale énergie pour que plates-bandes, statues et bassins ne soient pas la proie de hautes herbes et de ronces. De cette végétation conquérante, la princesse de Créon écrit à sa cousine Angélique de Fombeuse : Elle nous guette, elle nous menace, elle recouvrira bientôt le marbre ». Le marbre dans lequel sont gravés ses préjugés et ses certitudes.
Voilà donc un livre-paysage, un livre-odeur dans lequel gronde un silencieux tonnerre et flotte un parfum de ruine. Magnifique.

1 commentaire:

Hécate a dit…

Votre commentaire sur "Des amants" est magnifiquement illustré. Je suis venue le revoir et éventuellement vous dire que Daniel Arsand a publié très récemment un court roman "Alberto" dont je fais l'éloge sur mon blog"le fil d'archal" où je vous invite bien volontiers pour plus d'informations sur l'éditeur, ce n'est pas un gros tirage.
Bien cordialement.
Hécate