mardi 8 avril 2008

Les Disparus de Daniel Mendelsohn



9782081205512.jpgCe livre retrace l'enquête de l'auteur qui va partir à la recherche de ses ancêtres juifs, tués en Pologne en 1941, et dont il ne connait presque rien. Il va ainsi parcourir le monde et recueillir des témoignages bouleversants mais il va également nous faire part de ses doutes, ses incertitudes sur la manière de mener cette quête. Son approche est toujours pleine de sensibilité et montre la difficulté de son entreprise à différents niveaux. Ainsi, la réalité de l'histoire peut-elle parfois se dévoiler de manière tout à fait inattendue comme dans ce passage, lors de la visite d'un cimetière juif en Autriche : « A côté de ces tombes (presque aucune d’entre elles, avons-nous remarqué en y circulant, ne porte de dates postérieures au début des années 1930), se déployait une vaste prairie vide. Nous l’avons regardée fixement pendant un moment, avant de comprendre que la Nouvelle Section juive était en grande partie vide parce que tous les Juifs qui auraient dû être enterrés là, selon le cours normal des choses, étaient morts dans des circonstances qu’ils n’avaient pas prévues et s’ils avaient été enterrés, l’avaient été dans d’autres tombes moins élégantes qu’ils n’avaient pas choisies. Quand nous pensons aux terribles ravages produits par un certain type de destruction pendant les temps de guerre, nous pensons normalement au vide des endroits qui étaient autrefois pleins de vie : les maisons, les boutiques, les cafés, les parcs, les musées, etc. J’avais passé pas mal de temps dans les cimetières, mais il ne m’était pourtant jamais venu à l’esprit, avant cet après-midi dans la Zentralfreidhof, que les cimetières, eux aussi, pouvaient être vidés de leur vie. »

author_photo_face_close.jpgL'auteur montre également à quel point la photographie joue un rôle dans la compréhension que l'on peut avoir de cette guerre : « comprendre combien j’avais été désinvolte, irréfléchi même, traversant le monde entier pour parler avec ces survivants, qui avaient survécu avec rien d’autre, littéralement, qu’eux-mêmes et exhibant la riche collection de photos que ma famille avait conservées depuis des années, toutes ces photos que j’avais contemplées et qui, plus tard, m’avaient fait rêver pendant que je grandissais, les images de ces visages qui n’avaient pas véritablement de valeur émotionnelle pour moi, mais le pouvoir, soudain, de rappeler aux gens à qui je les montrais à présent la vie et le monde auxquels ils avaient été arrachés, il y a si longtemps. Comme j’étais idiot et insensible. »
Mais si les photos peuvent raviver douloureusement la mémoire des survivants, elles peuvent paradoxalement faire « disparaître » presque définitivement certaines victimes :
« Quand j’ai montré ces images mystérieuses à Bruria, dont l’anglais était aussi limité que mon hébreu pour la conversation, elle a secoué la tête tristement et haussé légèrement les épaules. Tous ceux-là, me suis-je dit, en regardant ces visages muets, tous ceux-là sont absolument perdus, impossibles à connaître ».

Le propos est ainsi toujours nuancé,et nous assistons à toutes les difficultés de l'auteur qui cherche à comprendre la petite et la grande Histoire. A cet égard, l'ouvrage s’ouvre sur une dédicace suivie d’une citation latine que l’auteur va expliquer : Sunt lacrimae rerum « C’est la phrase qui m’est venue à l’esprit quand Meg a dit, C’étaient ses parents, et qui continuerait à me venir à l’esprit chaque fois que je serais confronté à l’horrible décalage entre ce que certaines images et histoires signifiaient pour moi qui n’y étais pas et, par conséquent, ne seraient jamais qu’intéressantes, édifiantes ou terriblement « émouvantes » (comme on dit d’un livre ou d’un film qu’il est « émouvant »), et ce qu’elles signifiaient pour ces gens à qui je parlais, pour qui ces images étaient leur vie. Dans mon esprit, cette phrase en latin est devenue une sorte de légende expliquant ces distances infranchissables créées par le temps. Ils y avaient été et nous, non. Il y a des larmes dans les choses. Mais nous pleurons tous pour différentes raisons. »
Cet « horrible décalage » tient au fait même que certains protagonistes refusent que toutes leurs expériences soient divulguées, même si elles envisagent de témoigner un jour. L'auteur en donne l'explication :
«Elle et moi, même au moment où elle l’a dit, savions parfaitement qu’elle n’écrirait jamais un livre elle-même, mais en dépit de ma frustration de ne pouvoir inclure certaines choses qu’elle m’a dite ce jour-là, des histoires et des anecdotes qui pourraient éclairer ce qu’a pu être le fait de traverser la guerre à Bolechow, je comprends parfaitement ce dont elle avait peur, pourquoi elle redoutait de voir ses histoires figurer dans mon livre. Elle savait que dès l’instant qu’elle m’autoriserait à raconter ses histoires, elle deviendraient les miennes ».
Plus loin, c'est la démarche de l'historien de la guerre la grande difficulté du projet qui sont explicitées :« et puis, poursuivant la pensée non dite qui m’avait traversé l’esprit, j’ai dit, avec un demi-sourire, C’est différent d’écrire l’histoire des gens qui ont survécu parce qu’il y a quelqu’un à interviewer, et ils peuvent vous raconter ces histoires étonnantes. En prononçant ces mots, j’ai pensé à Mme Begley qui m’avait dit un jour, en me regardant froidement, si vous n’aviez pas une histoire étonnante, vous n’auriez pas survécu. Mon problème, ai-je poursuivi pour Shlomo, c’est que je veux écrire l’histoire de gens qui n’ont pas survécu. Des gens qui n’avaient plus d’histoire ».
Enfin, au delà de la démarche de l'historien, c'est progressivement une réflexion sur l'humanité en général qui nous est livrée :
« Etre en vie, c’est avoir une histoire à raconter. Etre en vie, c’est précisément être le héros, le centre de l’histoire de toute une vie. Lorsque vous n’êtes rien de plus qu’un personnage mineur dans l’histoire d’un autre, cela signifie que vous êtes véritablement mort ».

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