mardi 8 avril 2008

Etat de veille pour Ingrid Betancourt


Je me souviens : année 2002. Qu’ai-je fait depuis six ans ? Du boulot, des rencontres, des ruptures, des lectures, des soirées alcoolisées à refaire le monde avec des pensées définitives et des propos péremptoires. Des tas de films aussi. 2002, je me souviens de « Parle avec elle » d’Almodovar. Un an plus tard, « Loin du Paradis » de Todd Haynes. Aujourd’hui, c’est elle qui me parle et elle n’est pas loin du Paradis, elle est « par-delà l’enfer ». Et ce n’est pas un film.
Ingrid Betancourt. Enlevée depuis six ans.

4fd4cfa80cf01cae22fd73f45a5fc1bb.jpgVoici le début de la lettre qu’elle a adressée le 24 octobre 2007 à sa mère et à ses enfants (Lettres à maman par-delà l’enfer – Seuil).


Jungle colombienne,

Mercredi 24 octobre

8 h 34

Par un matin pluvieux, comme mon âme
Ma petite maman chérie adorée,

Tous les jours, je me lève en remerciant Dieu de t’avoir. Tous les jours, j’ouvre les yeux à 4 heures et je me prépare, afin d’être bien réveillée lorsque j’écouterai les messages de l’émission La Carrilera de las 5. Entendre ta voix, sentir ton amour, ta tendresse, ta confiance, ton engagement à ne pas me laisser seule, c’est mon espoir quotidien. Tous les jours, je demande à Dieu de te bénir, de te protéger et de me permettre un jour de pouvoir tout te rendre, te traiter comme une reine, à mes côtés, parce que je ne supporte pas l’idée d’être à nouveau séparée de toi. Ici, la jungle est très épaisse, les rayons du soleil y pénètrent difficilement. Mais c’est un désert d’affection, de solidarité, de tendresse, et c’est la raison pour laquelle ta voix est le cordon ombilical qui me relie à la vie. Je rêve de t’embrasser si fort que je demeurerais incrustée en toi. Je rêve de pouvoir te dire « Maman, mamita, plus jamais tu ne pleureras pour moi, ni dans cette vie ni dans l’autre. » J’ai demandé à Dieu qu’il me permette un jour de te prouver tout ce que tu signifies pour moi, de pouvoir te protéger et de ne pas te laisser une seconde toute seule. Dans mes projets de vie, si un jour je retrouve la Liberté , je veux, mamita, que tu songes à vivre avec nous, ou avec moi. Voici ce que nous dit Elie Wiesel dans la préface de cette lettre bouleversante : « Lisez cette lettre. Lisez-la bien. La voix qui s’adresse à vous vous tiendra éveillée la nuit. »

Je pense alors à ce poème de Desnos intitulé « Demain », extrait du recueil Etat de veille :

Agé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard-souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille
,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
A maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore

De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Savez vous que j'angoisse littéralement le matin quand le radio réveil se mette en marche car j'ai toujours peur d'apprendre l'horrible nouvelle de son éventuelle mort... Ingrid m'a appris à aimer toutes choses qui m'entourent et de dire aux autres que je les aime car on ne sait jamais.

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SABINE