mardi 8 avril 2008

Parades de Bernard Souviraa


9782879296012.gifAutant le dire tout de suite : c'est le meilleur roman gay de l'année (c'est d'autant plus facile à dire que nous sommes en mars). On dit généralement qu'on a « dévoré » un livre qui nous a plu. Pour celui-là, j'ai dû prendre mon temps, interrompre la lecture, laisser poser un peu le livre, juste pour le regarder de loin et tenter de le rendre un peu inoffensif tant j'ai été pris, embarqué dans une histoire dans laquelle j'ai cru parfois me retrouver. Il arrive qu'on s'identifie à un personnage... moi c'est de tous les personnages que je me suis senti proche, ou plutôt de l'état d'esprit, de l'ambiance du livre. J'avais 18 ans à nouveau, j'étais revenu au lycée, à mes premières années d'étudiant, à mon CAPES de Lettres. Ce livre est pour moi la preuve que le voyage spatio-temporel est possible.
Je suis dans l'incapacité totale d'en faire un résumé personnel tant j'aurais l'impression de trahir tout ce que j'en ai senti. Voici donc ce qu'en dit la quatrième de couverture :
« Cétaient les années 80, l'époque où Gabriel et Sébastien se déclaraient frères et se rêvaient comédiens. L'époque de leur montée à Paris et de leurs débuts au théâtre avec, pour initiatrices, l'universitaire bordelaise Lorette Mondine et Nora Reps, la vieille diva tchekhovienne. Gabriel allait connaître le succès au cinéma mais, étrangement, il disparut aussitôt après avoir remporté le prix d'interprétation à Venise pour son premier film. Vingt ans plus tard, Sébastien, qui n'a jamais réussi à oublier Gabriel ni à comprendre sa fuite, cède au désir impérieux de le retrouver. Il part à Porto. On aurait vu récemment Gabriel dans un café de la ville, le Guarany ».
Sébastien, au début du récit se confesse de cette manière :
« Je lui dirais que Gabriel a été comme un frère pour moi, Gabriel Dessant, il me manque pareil, il me manque comme un frère, j'ai eu très vite une autre vie que la vie que j'avais quand nous nous fréquentions mais comprenez-moi bien, nous étions comme des frères, nous n'étions pas amants, non, je n'étais pas amoureux de lui, non, au début j'ai tenu son souvenir à distance, j'ai été anesthésié. Voilà, j'ai pratiqué sur moi une sorte d'anesthésie fort réussie. J'accomplissais sans défaillance les geste du quotidien. Tous les gestes du quotidien sont devenus des passions, de la lecture du journal aux heures passées à la laverie à regarder le hublot fou des machines, j'adorais l'essorage. Quand il a tout quitté et qu'il a disparu, je ne le voyais déjà plus, vous savez. Nous avions eu un... différend... voilà, un différend. L'orgueil. »
Il y a un peu plus loin la plus belle description d'un baiser que j'ai jamais lue, une description étrange et surréaliste qui m'a fait penser à du Salvador Dali, je ne sais pas pourquoi :
« Mais avant même que j'aie eu le temps de lui répondre, avant même que j'aie pu croiser son regard, sa langue est dans ma bouche. Nos langues glissent l'une contre l'autre comme des animaux marins à la fois élastiques et spongieux. Des animaux hardis ayant voyagé longtemps dans les fonds sous-marins gorgés de mâchoires carnivores, de gueules en forme d'épée, de plantes luminescentes dont l'électricité foudroie. des animaux qui ont acquis une souplesse rusée,sont maintenant supérieurement doués pour la vitesse d'exécution, des animaux pleins d'expérience et de secrets accumulés qui tout à coup se révèlent. Par leur texture d'amibes, nos langues échangent ce savoir muet ».
Il y a l'atmosphère des années 80.
Le Sida : « En vérité, moi j'y pense très peu. Et Gabriel ? sans doute plus que moi, je présume, quand il revient de ses virées sur les quais. Alors qu'il a quelque chose de la bête des bois, une bête aux trop grands yeux noirs, et je trouve pour ma part effrayant les yeux des biches ».
Intermède au sujet des « yeux des biches » destiné à ceux qui n'auraient pas lu les critiques des ouvrages gays précédents. Une rapide rétrospective s'impose. J''avais en effet signalé dans Mérovée de Nicolas Jones-Gorlin la phrase suivante : « Ses cheveux étaient trempés de sueur. Et ses yeux ressemblaient à ceux des biches »(p.7). Puis, dans Un homme accidentel de Philippe Besson : « les adolescents mal grandis, les habitués des salles de musculation, les folles flamboyantes, les travelos encombrants, les blacks gigantesques, les chicanos aux yeux de biche »(p. 83). Et voilà Bernard Souviraa qui s'y met aussi... décidément, la chasse est ouverte. Oui mais voilà, contrairement aux deux premiers auteurs pour qui cet oeil de biche n'a qu'une simple dimension vaguement esthétique ou érotique qui s'enferme dans un indigent cliché, il y a, chez Bernard Souviraa, une véritable symbolique qui est en jeu et dont témoignent de nombreux passages du livre. Il y a là un lien étroit avec la notion d'identité, la notion de déni. Une notion qui imprègne l'histoire de Sébastien qui, à d'autres moments, affrontera des regards sous des formes variées. A ce sujet, et puisque je parlais plus haut de surréalisme, il me semble tout indiqué de rappeler ici un extrait du Chien andalou de Luis Bunuel : une femme s'y fait trancher un oeil d'un coup de lame de rasoir.
Il y a tout dans Parades : les parades amoureuses et les parades de combat.Avec ou contre l'autre. Ou contre soi. Tout contre, bien sûr.

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